Le paysage québécois et même canadien des produits de Finance & Assurance a été bouleversé quand, en novembre dernier, deux importants joueurs, le Groupe PPP et iA-VAG, ont joint leurs forces. Luc Samson, vice-président, ventes et administration, service aux concessionnaires d’iA-VAG, nous explique les raisons qui ont motivé cette fusion et ce qu’elle signifie pour l’avenir de l’industrie.
Commençons par le commencement : qu’est-ce qui a incité iA-VAG à acheter PPP ?
Depuis 35 ans, PPP était la propriété de plusieurs concessionnaires du Québec qui ont voulu se doter de leur propre réseau de distribution de produits F&A. Le Groupe PPP était alors considéré comme un TPA, tout comme VAG et Sogest/Soform à l’époque.
UnTPA?
Un « third party administrator ». PPP était l’administrateur des programmes d’assurances (créanciers, remplacement, mécanique, etc.), alors que La Capitale était le souscripteur, qui ne fait pas directement affaire avec les concessionnaires. C’est PPP qui administrait les certificats et les remises à La Capitale, tandis que l’assureur gérait les réclamations sur le plan de l’assurance pour créanciers et que PPP gérait les réclamations des assurances de remplacement. Les annulations étaient gérées par PPP dans les deux cas.
iA-VAG fonctionne différemment ?
iA-VAG, c’est Industrielle Alliance, le souscripteur. Dans le fond, nous nous occupons de l’administration de nos propres certificats et de nos propres réclamations. Il n’y a pas de TPA. Peu à peu, des assureurs ont développé un intérêt pour ce créneau de l’industrie. Par exemple, IAP a acheté Mécagroupe, avec comme résultat qu’ils ont pu réduire la marge bénéficiaire du TPA et la transférer au concessionnaire. Avec le temps, les TPA ont vu leur marge de profits s’amincir.
Les profits des TPA ont diminué en faveur des concessionnaires ?
Absolument. Les analyses démontrent que, pour la même couverture souscrite il y a 10 ans, c’est-à-dire entre 2006 et 2016, pour suivre la concurrence et octroyer les commissions au concessionnaire dictées par le marché, la prime a dû augmenter du double et la marge bénéficiaire des TPA en a été proportionnellement réduite. Il est donc évident que ce que le concessionnaire a récupéré comme commission a eu un effet direct sur ce que PPP pouvait engendrer comme profit.
Et PPP a commencé à se retrouver dans l’eau chaude…
En tant que compagnie publique privée (les propriétaires-actionnaires étant les concessionnaires), PPP doit diffuser ses états financiers. Quand les membres propriétaires ont reçu ceux de 2015 (présentés en 2016), ils se sont bien rendu compte que la marge bénéficiaire de leur compagnie s’était transformée en perte. Tous les mois, la valeur réelle de leurs actions diminuait. Tout à coup, l’idée de refinancer de leurs poches une compagnie qui ne faisait plus d’argent s’est avérée de moins en moins séduisante.
Ce que le concessionnaire faisait en profit dans sa concession, il risquait de le perdre en tentant de garder PPP à flots ?
Exactement. Dans ces conditions, un conces- sionnaire aimera mieux travailler directement avec l’assureur.
Est-ce que PPP se dirigeait vers une faillite ?
Au précédent bilan (2014), la compagnie avait fait ses frais et je crois que le suivant aurait montré des pertes moins élevées que celles de 2015, mais des pertes quand même. Il n’y avait pas assez de bénéfices non répartis pour tout couvrir. Donc, sans être devin, disons que ça augurait mal.
Et c’est ici que, mise au courant de la situation, iA-VAG décide d’intervenir ?
Quand j’ai vu les états financiers, je me suis immédiatement posé une question : est-ce que l’industrie pouvait se permettre de laisser aller PPP ?
Pourquoi vous êtes-vous posé cette question ?
Pour la bonne santé de notre industrie tout entière. Et parce qu’une faillite de PPP aurait envoyé le mauvais message. C’est un secret de Polichinelle que les courtiers d’assurances entretiennent un puissant lobby envers l’Autorité des marchés financiers (AMF) et la population pour leur prouver que les concessionnaires ne peuvent pas vendre des assurances. Ils auraient pu utiliser les problèmes de PPP pour inciter les gens à croire que les concessionnaires ne sont pas de bons gestionnaires de risque et, surtout, sans en expliquer les véritables enjeux.
Vous avez expliqué tout ça à vos dirigeants ?
Oui. J’ai détaillé la situation et les raisons pour lesquelles nous devions intervenir. Ensuite, je me suis assis avec Félix Lambert, le président du conseil exécutif de PPP. Nous avons discuté de l’avenir de notre business. Ça s’est fait très candidement. Monsieur Lambert a une solide vision de l’industrie. Il possède trois franchises (Honda Casavant, Hyundai Casavant et Kia Saint-Hyacinthe), il réalise l’implication croissante des constructeurs dans le F&A, il connaît les enjeux avec l’AMF et le lobby de courtiers, et il a une très bonne relation avec la CCAQ, puisqu’il en a déjà été le président. Félix et moi avons rencontré le comité exécutif de PPP, qui nous a finalement demandé de lui envoyer une lettre d’intention. Nous sommes alors à l’été 2016. Nous avons envoyé la lettre, les vacances d’été ont passé, la lettre d’intention a officiellement été signée en octobre et la transaction s’est finalisée le 14 novembre.
L’idée principale étant de racheter les actions des concessionnaires-actionnaires de PPP ?
Oui.
PPP les a convoqués en assemblée générale extraordinaire à Sainte-Foy le 19 octobre dernier, réunion à laquelle vous avez participé. Quelle a été la réaction des participants ?
Très positive. Nous avons expliqué la situation du Groupe PPP, où s’en allait l’industrie de l’automobile avec le nouveau directeur commercial et notre rôle dans le portrait. Nous n’avons même pas été obligés de passer au vote tellement l’unanimité s’est imposée. Comme la règlementation du Groupe PPP permettait seulement à un concessionnaire d’être propriétaire, il y a eu changement de règlementation et nous avons pu commencer notre due diligence (véri cation préalable) pour en arriver à une entente.
Vous avez offert 48 $ par action aux concessionnaires-propriétaires. Auraient-ils pu espérer recevoir plus ?
En fait, l’action n’est jamais montée plus haut que 47,50 $. Dans le fond, on leur a payé la valeur de l’action au plus haut, moins l’actif net tangible (qui était négatif), ce qui est revenu à un peu plus de 30 $ l’action.
À la suite de ce sauvetage, avez-vous demandé aux clients de PPP de faire confiance à iA-VAG pour un certain temps ?
Oui. Nous leur avons demandé de rester avec nous pour les 12 prochains mois.
Cette période passée, ils peuvent aller voir ail- leurs si ça leur tente ?
Tout à fait. La dernière chose que nous voulons, c’est de profiter de la situation pour prendre des clients en otage.
Quand deux compagnies joignent leurs forces, il y a immanquablement des postes qui deviennent des doublons et on doit malheureusement procéder à des mises à pied. On parle de combien ici ?
Un peu plus de 35 personnes sur des effectifs d’environ 110. Et d’excellentes personnes à part ça. Mais nous n’avions pas le choix. Il faut aller chercher une efficacité sur le plan des coûts. Si nous ne l’avions pas fait, PPP aurait été dans l’obligation de le faire. Il y a des gens qu’on ne croyait pas pouvoir garder, mais qu’on a pu repositionner à l’intérieur d’iA Groupe Financier. Et tous les autres se sont vu offrir les services de l’agence Randstad pour se replacer ailleurs.
Combien êtes-vous chez iA-VAG en ce moment ?
Avant l’arrivée de PPP, nous étions 340 à l’échelle nationale.
Et maintenant, quels sont vos plans avec PPP ?
La première chose, c’est de maintenir les relations d’a aires entre PPP/Voyer et ses clients. PPP avait commencé à faire la promotion d’un programme de formation qui s’appelle Ascension. Nous voulons aller chercher le meilleur de ce programme et l’étendre au réseau iA-VAG. Le programme Ascension comporte notamment un excellent volet « rapports ». En fait, PPP a un bon « front end » sur le plan informatique. Nos programmeurs ont mis en place un pont entre nos deux systèmes. Nous conservons le « front end » de PPP, qui est plus convivial et plus beau, et on le relie à notre « back end », ce qui fait en sorte que le « reporting » pour tous les concessionnaires sera automatisé en entier, ce qui est une très bonne nouvelle. Le concessionnaire pourra suivre tous ses résultats en ligne. Le programme Ascension comporte aussi un aspect formation en milieu de travail et en classe, de même que des séminaires avec des conférenciers de renom.
Au moment de la fusion, quelles étaient les parts de marché des deux compagnies au Québec ?
De façon active, iA-VAG comprenait pas loin de 660 ou 670 concessionnaires. Dans le lot, il y en avait environ 200 qui vendaient, par exemple, la garantie de PPP mais des produits d’assurances de remplacement de VAG, tout comme nous avions déjà des clients iA-VAG qui vendaient des produits PPP. Dans l’ensemble, on peut dire que les deux équipes fusionnées couvriront 80% du marché. Il y aura peut-être des concessionnaires qui penseront qu’on est devenu trop gros, sauf que j’aimerais qu’ils réalisent le véritable enjeu. Et ce véritable enjeu, c’est d’unir nos forces et de munir tous nos clients d’une force de frappe. Je crains que sans une compagnie comme la nôtre, les concessionnaires soient mal placés pour se positionner de façon enviable. Nous avons besoin de tout le monde – régulateurs, assureurs, constructeurs – mais dans un rapport de force équilibré.
Nous entendons aussi souvent iA-VAG – et dé- sormais PPP – parler de sa « valeur ajoutée ». Qu’en est-il exactement ?
Dans un premier temps, toutes les représentations que nous faisons auprès des régulateurs, ce sont des choses que les concessionnaires ne voient pas. Personnellement, je suis dans les bureaux des surintendants provinciaux de façon régulière, c’est-à-dire l’AMF au Québec, et des organisations similaires dans toutes les autres provinces. Nous défendons les intérêts des concessionnaires pancanadiens. Ensuite, il y a tout l’aspect du développement de la stratégie numérique et les relations que nous établissons avec différents joueurs incontournables. Ce sont des travaux en coulisse, mais dont les concessionnaires pourront bientôt apprécier les résultats. Et là, ils vont faire « wow ! ». Enfin, ajoutons tout l’aspect formation/suivi en milieu de travail conçu par PPP et le programme en double-référencement dont disposaient déjà les clients d’iA-VAG et qui sera maintenant offert à la clientèle qui n’en avait pas.
Le double-référencement ?
Le référencement en assurances de dommages. C’est une autre valeur ajoutée qui aide les concessionnaires à concrétiser des ventes d’assurances de remplacement et qui développe une loyauté de la clientèle à la suite d’une perte partielle. Quand le client est assurable à travers notre réseau, on le dirige vers le carrossier du concessionnaire-vendeur d’origine. S’il est assuré avec un autre assureur, il pourrait être obligé d’aller voir un carrossier qui n’est pas relié au concessionnaire.
Est-ce que PPP avait des produits novateurs que vous n’aviez pas ?
Novateurs, non, mais que nous n’avions pas, oui. Je pense ici à l’assurance garage par l’entremise de l’assureur Intact. C’est une assurance qui assure tes bâtiments, le stock, etc. Nous avons plus de 140 concessionnaires-clients qui s’en sont prévalus. C’est quelque chose que nous allons faire grandir à l’intérieur de notre réseau à un niveau pancanadien.
En somme, à vos yeux, il est clair que la fusion PPP-iA-VAG va profiter à l’industrie ?
Oui. En fait, cette fusion-là était un incontournable. Les détaillants, nous les avons à cœur, car c’est avec eux que nous avons bâti notre réseau. Or, de voir des détaillants être les propriétaires d’une entreprise qui n’était plus à son meilleur, ça appelait un changement. Compte tenu de ce que le marché fait vivre aux « third party administrators », il fallait agir. Et comme plus de la moitié des actionnaires de PPP faisaient déjà affaire avec nous, il fallait à la fois protéger ces gens-là et aussi protéger le réseau au complet.