Joint via Zoom, notre invité, Don Romano, président de Hyundai Canada, a immédiatement sauté dans le vif du sujet : « Il n’y a pas de mots pour décrire ce que notre industrie traverse actuellement. Mais les affaires vont bien. La demande est là, même si l’économie, elle, souffre. Le coût des biens est ridicule. Alors, c’est vraiment difficile à gérer. Par contre, les gens veulent des voitures. Et ça, c’est notre bénéfice fondamental malgré le fait que des véhicules, nous n’en avons juste pas assez. Ce phénomène ne se vit pas seulement chez Hyundai. On le voit chez tous les constructeurs. On est tous dans le même bateau. Ce qu’il reste à faire, c’est de continuer d’avancer. Les chaînes d’approvisionnement vont finir par s’ajuster. Cela étant dit, contrairement à ce que nous disent les gouvernements et plusieurs économistes, je ne pense pas que la cause soit reliée à une trop grande circulation de l’argent. À mon avis, le plus gros problème, c’est que la chaîne d’approvisionnement est brisée. Que ce soit à cause de la situation géopolitique, de la transition vers l’électrification ou des difficultés en transport, c’est l’offre, pas la demande, qui est problématique. »
AM : L’augmentation des taux d’intérêt va-t-elle régler le problème ?
DM : C’est certain qu’en haussant les taux, moins de produits vont se vendre, mais selon moi, ça va seulement agir comme un plaster. Quitte à me répéter, le vrai problème demeure l’offre.
Les constructeurs vont-ils contrer les taux avec des incitatifs ou une telle mesure ne serait pas nécessaire en raison de la faiblesse de l’offre ?
Elle ne serait pas nécessaire. D’ailleurs, c’est pour ça que je dis que l’augmentation des taux ne va pas corriger la situation, même si c’est la seule option du gouvernement, qui n’a aucune prise à court terme sur les problèmes d’approvisionnement. Si on avait commencé à miner pour extraire du lithium, du manganèse ou du cobalt il y a cinq ans, si on avait travaillé sur nos infrastructures de distribution, si on avait optimisé notre capacité au port, si on s’était assurés d’avoir plus d’unités de transport, les circonstances ne seraient pas aussi graves. Certes, le prix du pétrole est un effet de la guerre qu’a provoquée la Russie. Le prix de nos voitures, lui, ne grimpe pas à cause du prix du pétrole. Il grimpe à cause de la demande. Et cette demande, c’est la même qu’avant. Ce qui a changé, c’est le manque d’inventaire.
Du fait de cette capacité de production réduite, vous concentrez-vous principalement sur la construction de modèles haut de gamme ?
Non. Nous laissons les gens choisir leur voiture. Nous vivons actuellement une transition où l’inventaire ne se trouve plus chez le concessionnaire mais chez le constructeur. Si un client commande un modèle de base, nous lui construisons un modèle de base. La question pourrait s’avérer si notre modèle d’affaires était encore la vente d’inventaires aux concessionnaires. La vérité est que je n’ai pas vendu une seule voiture à un concessionnaire depuis six mois. Cela dit, nous limitons les commandes, dans le sens où un concessionnaire ne peut commander 50 % de modèles de base, mais ces pourcentages n’ont pas changé.
Les agences, comme Genesis, gagnent en popularité à travers le monde. Quels sont les principaux obstacles qui empêchent les concessionnaires de concurrencer ces agences à armes égales ?
Le modèle actuel comprend tellement de défauts !
Quand les consommateurs n’aiment pas le processus avec lequel ils interagissent (pensons à Blockbuster (Netflix), aux taxis (Uber) ou à Sears (Amazon), ça ouvre la porte à des perturbations. C’est dans cette direction que le monde s’en va, et nous, nous traînons derrière. Nous devons adopter les techniques de ces entreprises.
Nous devons offrir une même expérience en ligne, et ce, facile, transparente et rapide. Actuellement, ce n’est pas rapide du tout. C’est long et c’est pénible.
Starbucks, par exemple, doit presque 100 % de sa croissance aux commandes effectuées via son application mobile, pas aux visites des consommateurs en magasin. Nous devons offrir une même expérience en ligne, et ce, facile, transparente et rapide. Actuellement, ce n’est pas rapide du tout. C’est long et c’est pénible. Et pour rendre les choses encore plus compliquées, le produit lui-même est rendu plus compliqué.
Ce que nous avons appris chez Genesis, c’est que nous pouvons vendre en ligne, offrir un prix juste et afficher un menu F&A sur le Web (qui, en passant, dépasse les résultats du F&A chez Hyundai). Ça ne veut pas dire que les directeurs F&A ne sont pas importants. Mais leur rôle va évoluer. On ne peut plus garder les gens en concession pendant des heures. Leur temps est trop précieux.
Est-il possible de faire évoluer le modèle de franchise vers un modèle d’agence ?
Oui, c’est possible. Est-ce nécessaire ? Non. Ai-je besoin de centraliser un inventaire de 140 000 unités (Hyundai) ? Non. Je peux facilement le faire pour 5000 (Genesis). Ça marche pour Genesis parce que c’est petit, parce que nous n’avons qu’une trentaine d’agents et parce que tout est parfaitement aligné… Nous travaillons toujours ensemble. Quand quelque chose ne va pas, nous nous en parlons et nous le réglons rapidement. Procéder de cette façon avec 250 concessionnaires ou, pire, 830 comme aux États-Unis… ça serait très difficile.
Ai-je besoin de centraliser un inventaire de 140 000 unités (Hyundai) ? Non. Mais je peux facilement le faire pour 5000 (Genesis).
Je pense que la meilleure solution, c’est de travailler avec de nouveaux systèmes qui aident les concessionnaires à améliorer leur profitabilité. Si nous pouvons réaliser ça en fonction de l’interaction que les consommateurs souhaitent avoir avec nous, je ne vois pas pourquoi nous aurions besoin de cette transformation [vers les agences]. Il faut cependant tenir compte du fait que les concessionnaires se montrent souvent réticents devant le changement.
Dans ce cas, que faut-il modifier au modèle des concessionnaires ?
Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons pas changer tout ça en quelques jours. Il faut agir doucement, graduellement, main dans la main avec les concessionnaires.
La première étape, c’est de faire évoluer notre système click-to-buy. Nous venons de signer une entente avec CDK pour utiliser son système Roadster, qui servira à propulser Click-to-buy. C’est beaucoup plus robuste que notre système actuel et tous nos concessionnaires vont utiliser le même système pour commander une voiture en ligne. Si on baignait encore dans des surplus d’inventaire, les concessionnaires nous diraient : Je suis bien content pour vous et votre CDK, mais je vais prendre mon propre système. Mais la cour des concessionnaires est vide. Alors, s’ils veulent commander une Hyundai, ils doivent passer par le système Roadster. Un seul système pour tous, qui liera le client avec la marque et le produit en ligne, et qui livra la même expérience partout. Un one-brand-system comme chez Tesla.
S’ils veulent commander une Hyundai, ils doivent passer par le système Roadster. Un seul système pour tous, qui liera le client avec la marque et le produit en ligne.
Autre chantier majeur : d’ici trois ans, tous nos véhicules seront connectés. Ce qui veut dire que l’information sur les véhicules nous sera transmise directement pour une analyse constante de leur performance. Si une irrégularité se présente, nous le saurons immédiatement et pourrons agir rapidement. Mais cela, je ne pourrai pas le mettre en application si les concessionnaires utilisent tous des DMS différents. La deuxième étape sera donc de limiter le nombre de DMS avec lesquels nous travaillons. Au moment où on se parle, nous effectuons un RFQ (request for quotes). Nous allons nous limiter à trois ou quatre fournisseurs, sous une entente très stricte de confidentialité des informations. Imaginez : Dès qu’un problème survient, le DMS pourra contacter le propriétaire du véhicule par message texte et, du bout des doigts, ce dernier pourra accepter le rendez-vous offert pour réparer la défectuosité. Plus besoin de faire la file devant un conseiller technique pour planifier un rendez-vous. C’est comme Uber, c’est comme Amazon…
La solution serait donc d’enjoindre aux concessionnaires de travailler avec un ou certains fournisseurs spécifiques ?
Oui. Les constructeurs doivent maintenant jongler avec des tonnes de téraoctets de données sur le client. Le kilométrage, les lieux parcourus, la façon dont le véhicule est utilisé… Tout ça, c’est beaucoup d’informations très privées. Il faut pouvoir délimiter l’accès à l’information et bien gérer toutes celles qui entrent et qui sont utilisées. Nos concessionnaires comprennent ça. La grande question, c’est : Faut-il se limiter à un seul fournisseur ? Si on met tous nos œufs dans le même panier et que le résultat n’est pas bon, on déstabilise toute l’entreprise. Dans le passé, un des gros OEM a choisi un seul fournisseur de DMS, que nous ne nommerons pas, et ça n’a pas bien fonctionné du tout.
Combien de temps prendra la transition vers ces fournisseurs sélects ?
La plupart des contrats que nous avons avec nos concessionnaires ont une durée de cinq ans. La transition devra donc se faire à l’échéance de ces contrats, ce qui va nous permettre d’étudier différents fournisseurs chez certains concessionnaires et d’ajuster le tir quand nous aurons rallié tous les concessionnaires.
Le « prix unique », autre morceau important du modèle d’agence, est-il à envisager pour les concessionnaires ?
Non. Et le constructeur qui dit le contraire aura le plaisir de plaider son argument en cour. Légalement, c’est de la fixation des prix. Dans un modèle de franchise, les concessionnaires sont libres de vendre au prix du marché (sans dépasser le PDSF). L’autre moyen de déterminer les prix est de maintenir un bon équilibre entre l’offre et la demande, mais les constructeurs doivent gérer l’offre correctement.
Le prix unique n’est pas applicable au modèle des concessionnaires et le constructeur qui dit le contraire aura le plaisir de plaider son argument en cour.
De plus, lorsque nous accordons une franchise à un concessionnaire, nous l’outillons pour qu’il puisse exploiter son entreprise de façon efficace. S’il ne parvenait pas à vendre ses véhicules à cause d’un prix que nous aurions fixé, nous nuirions à son entreprise. Imagine : Admettons que, tout à coup, les problèmes d’approvisionnement sont réglés et que nous lui envoyons dès maintenant 100 véhicules ayant un prix fixe, mais qu’il n’arrive à n’en vendre que 10 à cause de ce prix.
Les concessionnaires d’ici finiront-ils par devenir des agences ?
Je ne suis pas du tout convaincu que des marchés aussi gros que l’Amérique du Nord soient prêts pour un modèle d’agence. C’est une question de faisabilité. Dans de plus petits marchés, comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Moyen-Orient, l’Europe, là où il est plus facile de gérer les inventaires, je vois des avantages évidents. Je regarde ce que nous avons fait dans le cas de Genesis, et je ne pense pas que ça pourrait s’appliquer à Hyundai [ici].
Les constructeurs comme Hyundai vont-ils ainsi choisir de limiter les inventaires dans le futur, ou allons-nous revoir des cours garnies généreusement de véhicules ?
En tant que constructeur, le but, quand on construit une usine, c’est d’en maximiser la capacité. Si on est en mesure de produire 400 000 unités, on ne va pas se limiter à 200 000. Actuellement, à cause de tous les problèmes que l’on connaît, les usines ne roulent pas à plein rendement. De plus, nous sommes au beau milieu d’une transition vers les VÉ. Selon moi, à long terme, le marché va demeurer concurrentiel et nous reviendrons à la normale, c’est-à-dire que la cour des concessionnaires va contenir de nouveau un bel inventaire. Cela dit, j’espère que nous aurons, à ce moment-là, mis nos nouveaux systèmes en place et que nous aurons les compétences pour affronter les nouveaux constructeurs qui arrivent chez nous avec leur système facile d’utilisation, leur prix unique, etc. Mais je suis confiant. On va pouvoir les battre à leur propre jeu, sans devoir jouer leur jeu.
Parlons de l’électrification des transports. Les cibles des gouvernements sont-elles réalistes ?
Je vais répondre par une question : Les gouvernements ont-ils étudié quelles sont les ressources disponibles pour construire des VÉ ? Qu’ont fait les gouvernements pour étendre les réseaux de recharge au pays ? Ils sont vite pour dire aux constructeurs : Construisez des VÉ. Mais on ne les voit pas frapper à la porte des stations d’essence pour les inciter à ajouter des bornes de recharge rapide. Cinq millions d’habitants au Canada vivent dans un appartement et 10 autres n’ont pas accès à un garage. Si le concessionnaire pouvait assurer à ses clients que les stations d’essence sont toutes munies de bornes de recharge rapide, une des principales objections serait levée et les chances de convertir le client vers les VÉ seraient bonnes.
Le vrai problème auquel nous faisons face aujourd’hui, c’est « comment je vais charger mon véhicule? ». Et personne ne semble vouloir s’y attaquer.
L’autonomie et la vitesse de recharge ne sont plus des enjeux. Elles sont maintenant acceptables et vont s’améliorer avec le temps. Le vrai problème auquel nous faisons face aujourd’hui, c’est « comment je vais charger mon véhicule? ». Et personne ne semble vouloir s’y attaquer. Actuellement, la part de marché des VÉ est de 4 % (quoique la demande tourne plus autour de 10 %). Mais si on veut convertir les 90 % restants, on a absolument besoin d’une meilleure infrastructure de recharge.
Voir les chiffres de ventes de véhicules neufs au Québec, ici.
Les dates butoir de 2030 et 2035 seront donc repoussées ?
C’est effectivement le consensus que nous avons.
Quels sont les objectifs de Hyundai en matière d’électrification ?
Devenir une entreprise 100 % électrique d’ici 2030, bien que ce soit sujet à changement, principalement à cause des contraintes imposées par l’accès aux ressources premières. De plus, il faudra des changements dans les technologies. On ne peut pas tous compter sur les mêmes matières premières.
Parlant de technologies, est-ce une erreur de tout miser sur les VÉ ?
Absolument. Par exemple, l’hydrogène est une option intéressante. L’argument contre l’hydrogène, c’est qu’il n’est pas aussi efficace que les VÉ. Mais les avantages sont là. On peut construire un véhicule à hydrogène avec une batterie beaucoup plus petite, dont le temps de recharge est plus rapide et l’autonomie, meilleure.
Les puristes des VÉ, qui n’aiment pas l’hydrogène, ne regardent pas l’ensemble du tableau. On ne pourra pas satisfaire la demande si les ressources sont limitées. Il faudra être créatif.
Si on prend ça en compte, on pourrait accélérer la transition vers les énergies vertes. Ces mêmes puristes des VÉ, qui n’aiment pas l’hydrogène, ne regardent pas l’ensemble du tableau. On ne pourra pas satisfaire la demande si les ressources nécessaires à la construction des batteries viennent à manquer. Il s’agit d’une excellente technologie et je ne suis pas prêt à l’exclure de nos plans, même si on risque de voir l’hydrogène prendre son envol en premier dans les gros véhicules, comme les trains, les camions, les bateaux et même, éventuellement, les avions.
En 2020, vous avez lancé, exclusivement en Ontario, Hyundai for Hire, un programme de location à court et moyen terme. Où en êtes-vous avec ce programme?
Le projet pilote nous a permis de découvrir que les franchisés, même les meilleurs en la matière, éprouvaient des difficultés à gérer le processus eux-mêmes. Ça a été une excellente période d’apprentissage. Ce que je peux dire, c’est qu’il y aura une deuxième version du programme, mais en partenariat cette fois avec une entreprise spécialisée (Turo, pour ne pas la nommer). Une annonce sera faite sous peu à ce sujet.
*Voir ci–dessous, l’annonce que vient de faire Hyundai en juillet 2022 pour son nouveau programme Hyundai Mode de Vie, qui remplace en quelque sorte le programme pilote Hyundai For Hire.
Hyundai Mode de Vie: faciliter les essais de VÉ pour les consommateurs
Hyundai for Hire: une nouvelle plateforme de location signée Hyundai