Entrevue avec Jimmy Azouz, vice-président du Groupe Gabriel

Les racines du Groupe Gabriel ont germé en 1940 à Aleppo, en Syrie, là où le patriarche Hani Azouz est devenu le directeur général d’une concession de la marque Packard. Il a ensuite travaillé avec Studebaker et Skania dans les années 60. En 1961, son fils Gabriel ouvre un centre d’importation de véhicules. “À l’époque, mon père vendait des permis de taxis et, en même temps, vendait une voiture aux chauffeurs”, nous dit en riant Jimmy Azouz, fils de Gabriel, rencontré spécialement dans le cadre du Bottin des groupes 2022. En 1985, son père immigre au Québec. Il ne faudra pas plus de deux années avant que Gabriel ne suive les traces de son propre père et ouvre sa première concession, Acura Gabriel, en 1987.

Depuis, le Groupe Gabriel est constamment en mode expansion. L’année dernière, il a inauguré trois nouvelles concessions (Audi, Porsche, JLR) en plus de faire l’acquisition de Mazda Papineau (maintenant sur le Plateau sous la bannière Mazda Gabriel Plateau). Au cours des derniers mois, l’entreprise a aussi ajouté à son portfolio la toute première boutique Hyundai Électrifiée au Canada, située dans le centre-ville de Montréal, et ouvrira d’ici les prochains mois Nissan Gabriel Pointe-aux-Trembles (qui représente en fait une relocalisation de la concession Nissan Gabriel Plateau dont les locaux sont maintenant occupés par l’ancienne concession Mazda Papineau), Hyundai Gabriel Pointe-aux-Trembles et Nissan Gabriel St-Constant. 

Voici l’entrevue qu’a accordée Jimmy Azouz, vice-président du Groupe Gabriel, aux lecteurs d’AutoMédia.

Les 10 plus grands groupes de concessionnaires du Québec (2022)

 

D’entrée de jeu, avez-vous actuellement d’autres plans d’expansion ?

 

Oui. Nous cultivons toujours de nouveaux projets. Notre groupe est présentement en phase d’application pour de nouvelles concessions, et d’ici cinq ans, nous devrions détenir une quarantaine de concessions. 

 

Votre groupe semble favoriser l’ouverture de nouvelles concessions plutôt que l’achat de concessions existantes. Pourquoi ?

 

Je ne dirais pas que l’on préfère nécessairement les nouvelles concessions. Je pense qu’il y a des plus et des moins dans les deux cas. Dans le cas d’une nouvelle concession, il n’y a aucuns frais à débourser pour le goodwill, le seul investissement concerne la concession en soi. Par contre, tu pars de zéro et ça peut prendre de trois à cinq ans avant de rentabiliser l’entreprise. Ça prend aussi de trois à quatre ans avant de voir les clients changer leur voiture. 

Dans le cas d’une concession existante, le goodwill peut s’avérer très coûteux, mais ce coût peut en valoir la chandelle, surtout lorsqu’il s’agit d’une marque qui complète bien ce que contient déjà notre portfolio. De plus, il faut démontrer qu’un nouveau gestionnaire optimisera l’entreprise. 

 

Le centre d’importation Azouz au courant des années 1990 au Liban.

 

Devez-vous le prouver également au constructeur ? 

 

Absolument. Par contre, les constructeurs aiment bien travailler avec des entrepreneurs qui possèdent plusieurs concessions. Par exemple, si le concessionnaire a besoin d’une équipe temporaire, le temps de réorganiser l’entreprise, nous pouvons repêcher du personnel dans l’une de nos concessions existantes d’ici à ce que nous embauchions et entraînions de nouveaux membres pour l’équipe.  Chose certaine, un bon partenariat entre le constructeur et le concessionnaire est primordial pour que tout le monde y trouve son compte. 

 

Comment faites-vous pour obtenir des concessions avant les autres groupes de concessionnaires ? 

 

Dans le cas des nouvelles concessions, c’est souvent grâce à nos propriétés immobilières. Nous allons souvent nous asseoir sur un terrain pendant 10 à 30 ans en attendant l’affaire idéale. Il n’est pas rare que les constructeurs nous contactent pour étudier différents projets. Audi Anjou est un exemple parfait où nous avons patienté 30 ans avant de sauter sur l’occasion. D’ailleurs, nous possédons tous nos terrains et toutes nos bâtisses.

Cela dit, nous avons toujours un œil sur les régions qui pourraient être mieux servies et où nous détenons des terrains ou tenons un marché existant. Nous approchons ensuite les constructeurs, et toutes les parties produisent leur étude de marché avant qu’une décision soit prise.  

Par ailleurs, il existe parfois un aspect politique. Le dossier doit alors être présenté aux autres concessionnaires. Par contre, lorsqu’il s’agit d’un territoire que nous représentons déjà, nous sommes en mesure de passer immédiatement à l’action. 

 

La concession Acura Gabriel, la première concession du groupe, située sur le boulevard Saint-Jean à Dollard-des-Ormeaux, après les rénovations majeures de 2021.

 

Le Groupe Gabriel est bien connu pour ses concessionnaires, mais vous êtes aussi une entreprise immobilière. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

Ça a débuté lorsque nous avons acquis la concession Mont-Royal Ford sur le Plateau. Comme l’endroit n’était pas idéal pour gérer une concession automobile, nous avons profité de l’espace pour construire des condos pouvant attirer de nouvelles familles dans le quartier. 

L’idée est de toujours maximiser les perspectives de l’entreprise sur un espace donné. Par exemple, dans les milieux urbains, où le prix au pied carré est très cher, il faut construire à la verticale. Il est donc souvent logique de placer le garage ou le stationnement au sous-sol, d’installer la salle de montre au rez-de-chaussée et ensuite de rentabiliser l’espace disponible en hauteur. Nous savons que Montréal manque de logements abordables, c’est donc gagnant-gagnant. 

 

Combien de projets immobiliers se trouvent dans votre mallette actuellement ? 

 

Le  Plateau Mont-Royal représente notre premier gros projet immobilier. Nous avons aussi La Catherine, qui abrite actuellement notre centre Location Gabriel,  ainsi que le projet Le Gabriel, qui incorpore quant à lui la concession Toyota Gabriel et notre boutique Hyundai Électrifié. D’autres projets sont dans la mire, mais il est encore trop tôt pour en parler. 

 

Le Groupe Gabriel est une entreprise familiale. Est-ce que toute la famille y participe ?  

 

Mon frère Fadi et moi travaillons à temps plein avec mon père qui demeure toujours aussi impliqué dans l’entreprise. J’ai aussi deux sœurs, qui ont leur vie en dehors de l’entreprise. Pour ce qui est de ma mère, même si elle ne s’implique pas directement, beaucoup de crédit lui est dû. C’est grâce à elle que nous avons pu mettre toutes nos énergies dans nos études et notre travail dans l’affaire familiale. 

Nous n’oublions pas les autres membres de l’équipe, comme Pierre Mamarbachi, qui évolue avec nous depuis plus de 30 ans. Ces gens si importants ne portent peut-être pas le même nom que nous, mais ils font partie de la famille. D’ailleurs, je considère Pierre comme un mentor et un professeur. J’apprends encore beaucoup chaque jour grâce à lui. 

 

À gauche, Fadi et son épouse Nanour Azouz ; au centre, Gabriel Azouz et son épouse Peggy Azouz ; à droite, Jimmy Azouz et son épouse Julia Bastarache.

 

Justement, quelles sont les leçons les plus importantes que vous avez retenues de votre père ?

 

De toujours rester humble et de toujours rester impliqué. Tu ne sais jamais ce que les gens traversent dans la vie. Il faut toujours être à l’écoute des autres et travailler main dans la main. Si nous sommes là pour les gens autour de nous, ils seront là pour nous et l’entreprise. 

Le suivi est aussi très important pour mon père. Quand je demande à quelqu’un d’effectuer une tâche, je dois m’assurer non seulement qu’il saisit la nature de cette tâche, mais aussi que le travail a été réalisé dans la direction souhaitée. Dans ce même but de suivi, mon père consulte chaque mois nos rapports. Je dois d’ailleurs remplir des rapports pour chaque concession que je supervise. C’est important pour lui, mais aussi pour moi et nos employés. Ça nous permet de faire le point sur les différents aspects de la concession, tels les états financiers, l’image, l’atmosphère qui règne ainsi que le moral des employés, etc., afin d’apporter les améliorations nécessaires, s’il y a lieu.

 

Selon vous, de quelle façon l’électrification va-t-elle influencer l’industrie ? 

 

Je pense que les constructeurs sont bien plus avancés en matière d’électrification que ne le sont nos infrastructures. J’ai eu cette discussion avec Daniel Breton, président et directeur général chez Mobilité Électrique Canada*. Même s’ils n’est pas d’accord avec moi, je pense que c’est ça, la réalité. 

C’est difficile de savoir où exactement l’industrie s’en va. Il y a tellement de nouvelles technologies, qu’il s’agisse de nouveaux types de batteries ou de l’hydrogène, par exemple. Je crois toutefois que la pression qu’a mise le gouvernement sur l’industrie est une bonne chose, car si les constructeurs avaient eu le choix, ils auraient conservé le statu quo un peu plus longtemps. En même temps, Tesla a donné un gros coup de pied dans le derrière de l’industrie en volant une grosse part de marché. 

Chose certaine, côté infrastructures, il va falloir s’adapter. Par exemple, il faut installer des stations de recharge Et c’est difficile, car même si nous sommes constamment en train de rénover l’image de nos concessions, il ne s’agit pas de changer une tuile ou une façade. Il faut creuser et entreprendre des travaux majeurs pour passer les câbles. À 100 000 $ la pièce, les superchargeurs représentent un important investissement. Je crois que ça va faire ressortir ceux qui sont réellement prêts à se lancer dans l’électrification. Ceux qui hésiteront à implanter deux ou trois chargeurs dans leur cour devront penser à leur affaire… 

 

Boutique Hyundai Électrifié, par le Groupe Gabriel à Montréal.

 

Que pensez-vous du modèle d’agence ? 

 

Qu’il remplacera la façon de faire actuelle de l’industrie. Du point de vue constructeurs, ils peuvent contrôler la facturation, l’expérience client, l’administration, la manière dont les voitures sont allouées, et l’essai des produits pourra se faire dans des endroits spécifiques au lieu de maintenir une tonne de salles d’expositions. 

Du point de vue concessionnaires, le modèle d’agence représente des économies autant sur le plan opérationnel que sur le plan des ressources humaines, par exemple. Si nous prenons l’expérience de Genesis, le client va en ligne, vit une belle expérience numérique, reçoit un prix fixe et juste, et tourne la page. 

Je pense que plusieurs autres marques dans le futur vont adopter ce modèle. 

 

Croyez-vous au prix unique ?

 

C’est un sujet sensible. Selon moi, c’est la bonne chose à faire. Mais d’un point de vue légal, c’est difficile. Quand l’un des gros manufacturiers a tenté la chose, ce fut le chaos. 

Chose certaine, je ne pense pas que le plus bas prix constitue la meilleure expérience pour le client. Si nous vendons tous le même produit, cette expérience repose beaucoup sur la qualité de l’accompagnement et des efforts mis dans le personnel de la concession. 

N’importe qui peut baisser son prix, mais à quelle condition ? Voici une mise en situation : Un acheteur va voir deux concessionnaires. Le premier mettra tout le temps et l’effort nécessaires pour lui livrer la meilleure expérience possible, mais il ne conclura pas la vente parce que le deuxième, de façon expéditive, lui vendra le même produit, mais à prix coûtant. La stratégie du plus bas prix sacrifie donc l’expérience client. Je pense qu’en payant le juste prix, on s’assure d’obtenir un service de vente et d’après-vente qui est à la hauteur du produit. 

 

Qui croyez-vous sera le premier constructeur à transformer son modèle d’affaires pour le modèle d’agence ? 


C’est dur à dire. Prenons Genesis. L’occasion était idéale de se lancer dans un nouveau modèle d’affaires. Pour Hyundai, je pense que ça va prendre beaucoup de temps avant que le changement se fasse. D’après moi, ce sont probablement les divisions de luxe de certains constructeurs qui seront les prochaines à appliquer le modèle d’agence… Mais il y a encore beaucoup de défis à surmonter avant d’en arriver là. 

 

À votre avis, les concessionnaires solos, surtout ceux dans les centres urbains, seront-ils en mesure de concurrencer les groupes de concessionnaires ? 

 

S’ils représentent une marque très nichée et qu’ils sont parmi les seuls à la représenter, oui, je crois qu’ils le pourront. Par contre, si on parle d’une bannière plus générique, ça risque de devenir de plus en plus difficile. 

Une de nos grandes forces en tant que groupe est notre capacité à rejoindre facilement une vaste clientèle. Si d’ici quelques années, je détiens une quarantaine de magasins, je serai en mesure d’aviser directement entre 300 000 et 400 000 clients que le Groupe Gabriel vient d’acquérir une nouvelle concession. Un exploitant seul ne peut faire la même chose. Le défi pour pénétrer le marché sera plus grand. De plus, il possède moins d’outils qu’un plus gros groupe. Si j’ai un client qui désire changer de marque, je peux le diriger vers une autre de mes concessions, ce qu’un concessionnaire solo ne peut pas faire.

Cela dit, ça ne veut pas dire que ce n’est pas possible pour un concessionnaire solo de se tailler une place. S’il investit 110 % de son énergie dans sa marque unique, il peut très bien tirer son épingle du jeu. 

 

Gabriel Azouz, président du Groupe Gabriel, un homme qui, selon son fils Jimmy, voit toujours le bon côté des choses.

 

Erratum:

Dans le texte originale, AutoMédia fait référence à une conversation entre Jimmy Azouz et Giovanni Palazzo, le président d’Electrified Canada. Il s’agissait en fait d’une conversation avec Daniel Breton, président et directeur général chez Mobilité Électrique Canada, qui a eu lieu dans le cadre du lancement de la boutique Hyundai Électrifié à Montréal.

 

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