Les ventes de véhicules automobiles en 2023 ont, au Canada, grimpé de plus de 12 % en un an. Foi du rapport annuel de DesRosiers Automotive Consultants (DAC), il s’agit d’un large bond que l’industrie n’avait pas vu depuis 1997. Or, les concessionnaires n’ont pas pour autant le cœur à la fête.
« C’est un fait, les ventes de véhicules neufs vont bien. Les ventes de 2024 devraient même être meilleures que celles de l’an dernier », estime le concessionnaire Jacques Olivier, président d’un des cinq plus importants groupes automobiles au Québec.
Dans une de ses dernières publications, l’équipe du Scotiabank Economics prévoit justement que les ventes dépasseront le 1,71 million de véhicules au Canada en 2024. À la condition bien sûr que les niveaux de stocks s’améliorent et que les pressions sur les taux s’atténuent.
Les récentes statistiques du mois de janvier 2024 publiées par DesRosiers Automotive Consultants vont elles aussi dans ce sens. Les ventes de véhicules neufs pour ce premier mois de l’année affichent une hausse de 14,9 %. Dans son communiqué de presse, la référence de la statistique automobile au pays révèle que les ventes de janvier 2024 (112 862) ont même surpassé celles du mois de janvier 2019 (111 225), soit l’année avant la pandémie.
Mais attention, avise tout de même Jacques Olivier face à toutes ces données. « La profitabilité, elle, risque de ne pas être au rendez-vous. Du moins, pas comme on l’a vu au cours des trois dernières années. Des années exceptionnelles, pour ne pas dire record, pour la plupart d’entre nous », précise le concessionnaire qui détient plus d’une vingtaine de concessions à travers le Québec.
Des profits qui fondent au soleil
Déjà en 2023, les marges de profit ont diminué de plus du quart pour la vente de véhicules neufs (26 %) et de véhicules d’occasion (29 %), constate justement Maxime Théorêt, associé à DSMA. Selon cet expert en évaluation de concessions automobiles, ce recul peut s’expliquer par de multiples raisons, telles les hausses de salaire, les augmentations des coûts d’exploitation, les hausses de taux d’intérêt, sans oublier les taxes municipales, qui ont explosé dans plusieurs municipalités.
Cette baisse de profit est aussi intimement liée aux bénéfices obtenus par la vente de produits F&A. « De 2022 à 2023, nous avons constaté de substantielles diminutions de profit qui oscillent entre 34 % pour les produits de véhicules neufs et de 42 % pour les produits de véhicules d’occasion », partage l’associé de DSMA.
Combler les demandes refoulées
Certes, la hausse des ventes de véhicules repose encore sur les demandes refoulées lors de la pandémie. À elle seule, la marque Honda a enregistré une augmentation de 57,9 % pour le mois de janvier avec 7455 véhicules vendus à travers le pays. Les ventes de la marque Toyota ont elles aussi cartonné avec 29,1 % d’augmentation (13 653 véhicules vendus). Pour Toyota, il s’agit d’ailleurs d’un nouveau record pour le mois de janvier, a indiqué le constructeur automobile japonais. Un record, dit-il, qui a été largement supporté par les ventes de modèles Toyota RAV4, Prius, Tundra, Corolla Cross et Corolla Hybrid.
D’autres constructeurs n’ont toutefois pas connu un succès similaire. Selon les données fournies par DesRosiers Automotive Consultants, les ventes d’Acura ont chuté de 27,4 % au cours du premier mois de l’année au pays. Celles de Lexus et Volvo ne font guère mieux avec des chutes frôlant les 20 %.
Problèmes d’inventaire
D’autre part, l’année 2024 ne sera pas à l’abri des problèmes d’inventaires de véhicules. Bien que l’approvisionnement retrouve des niveaux d’avant la pandémie, certains concessionnaires sont déjà « inondés » de modèles dans leur cour à un point tel qu’ils accumulent d’importantes pertes financières.
« Actuellement, on trouve sur le marché canadien trois types de concessionnaires », indique Bertrand Couvrette, vice-président des ventes à AutoAlert pour le Canada. Selon cet expert en logiciels de gestion de concession automobile, il y a ceux qui vendent leurs véhicules en deçà de 30 jours, une catégorie dans laquelle logent les marques Subaru, Toyota, Kia, Hyundai et Honda. « Des marques qui gèrent fort bien leur inventaire. Et ça aide les concessionnaires à bien gérer leurs dépenses. Surtout avec un taux d’intérêt floor plan à 7 % », glisse, au passage, Jacques Olivier.
Il y a les concessionnaires qui se placent dans la moyenne, soit de 30 à 60 jours. Rappelons que cette moyenne de taux de roulement se situait sous la barre des 40 jours pendant les années pandémiques.
À l’autre bout du spectre, poursuit Bertrand Couvrette, se retrouvent des concessionnaires qui doivent composer avec des stocks de trois, cinq, voire plus de huit mois. Des inventaires, souligne-t-il, qui pèsent lourd dans les dépenses administratives.
On chuchote dans les coulisses que les taux de roulement pour certains véhicules du constructeur américain Chrysler Dodge Ram Jeep ont même dépassé les 300 jours. Un concessionnaire, qui souhaite garder l’anonymat, soutient que certains de ses confrères canadiens détiennent toujours dans leur cour des véhicules neufs de l’année 2022 qui représentent une valeur de plus de 10 M$. « Cette situation n’est pas sans grafigner la valeur du « goodwill » de certains concessionnaires dont la profitabilité est sous pression», avertit Maxime Théorêt.
Les véhicules électriques ne sortent pas vite non plus
L’expert de DSMA souligne que les véhicules électriques et hybrides auraient également leur part de responsabilité dans l’augmentation des taux de roulement de certaines concessions au pays. Bien que ce type de véhicules corresponde à plus de 20 % des ventes au Québec (plus de 25 % en Colombie-Britannique), cette technologie représente moins de 10 % des ventes dans les autres provinces.
Plusieurs constructeurs, explique-t-il, ont investi massivement dans les modèles électriques. « En 2024, au moins 40 % des manufacturiers comptaient 10 modèles et plus de VÉ ou d’hybrides dans leur catalogue. Or, l’année 2023 s’est soldée par une demande plus faible par rapport à l’offre du marché. Les manufacturiers Ford et GM, par exemple, éprouvent plus de difficulté à écouler leurs stocks. Même chose pour l’allemande Mercedes », signale Maxime Théorêt.
Après la vague des acheteurs pionniers (early adopters), on constate que les consommateurs sont plus hésitants. En fait, plusieurs doutent de la fiabilité des véhicules et des promesses faites par les constructeurs. « Et comme si ce n’était pas suffisant, les prix de ces modèles demeurent toujours élevés, sans compter que le taux d’intérêt l’est également. Ce qui n’en facilite pas la commercialisation. »
Néanmoins, l’associé de DSMA soulève que les ventes de véhicules électriques sont en croissance en Amérique du Nord. Alors que les ventes de VÉ et de modèles hybrides représentaient 3 % en 2021 des véhicules vendus, ce pourcentage s’est approché des 10 % en 2023 (7,8 %).
Des solutions mathématiques
De l’avis de Bertrand Couvrette, qui suit l’industrie de près, les concessionnaires qui souhaitent conserver la tête au-dessus de l’eau en 2024 devront faire preuve de créativité. « Les manufacturiers dont les concessionnaires sont inondés de véhicules neufs n’auront pas le choix d’offrir d’importants rabais pour stimuler les ventes », dit-il. À ce chapitre, depuis le début du mois de février, Chrysler affiche des rabais allant de 10 % à 20 % sur le prix de détail suggéré ainsi qu’un taux de financement à 4,99 % sur plusieurs de ses modèles.
Le vice-président d’AutoAlert s’attend également à voir des concessionnaires utiliser des solutions mathématiques. « Les plus créatifs sur le plan du financement réussiront à se distinguer de la concurrence », estime-t-il. À ce propos, M. Couvrette fait remarquer que certaines marques, notamment les manufacturiers allemands, ne proposent toujours pas de financement à 72, 84 et 96 mois. « Ce qui sera sans doute une planche de salut pour stimuler les ventes au cours de l’année 2024, et même 2025. » À ce propos, il note que certaines marques font affaire avec plusieurs clients qui peuvent actuellement changer leur véhicule de façon moins traditionnelle. « Par exemple, ils peuvent passer du financement au mode de location pour un paiement mensuel qui leur convient. Les valeurs résiduelles sont fortes pour plusieurs modèles et avantagent ainsi le mode de location », explique-t-il.
Certains clients peuvent même passer d’un véhicule d’occasion, dont les valeurs se maintiennent, à un véhicule neuf. « En fait, ce qui va aider à faire une différence, c’est l’approche logiciel, une meilleure connaissance et maîtrise des données des consommateurs afin de maximiser les ventes… et les profits de la concession », soutient Bertrand Couvrette.
Car l’accessibilité à la consommation automobile devient un problème au Canada. Dans une entrevue accordée à Automotive News Canada, le responsable de la recherche à Deloitte, Ryan Robinson, a signalé que près de 65 % des gens qui sont sur le point d’acheter un véhicule s’attendent à payer moins de 500 $ par mois. « Or, cette moyenne est désormais de 800 $ », a-t-il indiqué.
Cela incite les consommateurs à conserver plus longtemps leur véhicule, observe Maxime Théorêt. En l’occurrence, poursuit-il, une bonne gestion du département des pièces et services s’annonce une avenue intéressante sur le plan affaires pour les concessionnaires dans les années à venir.
Plusieurs chroniqueurs automobiles soutiennent déjà qu’il est plus avantageux pour le consommateur de payer entre 1500 $ et 3000 $ de réparations annuelles plutôt que de s’embarquer dans un financement de 8000 $, 9000 $ voire plus de 10 000 $ par année pour un véhicule neuf. Des économies, disent-ils, qui peuvent servir de précieux coussin pour l’achat du prochain véhicule lorsque les taux d’intérêt baisseront et que les prix seront plus abordables.
Ce qui ne semble pas encore probable pour 2024. Du moins pas pour le moment.