Lockout au Saguenay

Lockout au Saguenay: Portrait d’un conflit

Une page de l’histoire syndicale du Québec se joue peut-être au Saguenay. Depuis plus de deux ans, un conflit oppose la Corporation des concessionnaires d’automobiles Saguenay-Lac-Saint-Jean-Chibougamau et le Syndicat démocratique des employés de garage Saguenay-Lac-Saint-Jean affilié à la Centrale des syndicats démocratiques (CSD).

En termes de force de travail, ce sont 450 employés répartis dans 26 concessions dont 25 se trouvent en lockout, soit environ 50 % des concessions de cette régionale.

Il s’agit du plus long conflit que la région n’est jamais connue, employeurs et syndiqués demeurant sur leurs positions. De façon volontaire, les deux parties se sont rencontrées une seule fois en février 2013. Puis il y a eu deux processus de médiation. Le premier a échoué. Le deuxième, avec Normand Gauthier au poste de médiateur, est en cours. Une dizaine de rencontres ont eu lieu ainsi qu’un comité restreint, le 13 janvier 2015.

AutoMédia a tenté pour ses lecteurs de brosser un portrait de la situation. Si le point de vue de Joël St-Amant, un employé syndiqué en lockout, parait plus élaboré que les positions des autres parties, c’est qu’en période de litige, les représentants ne peuvent communiquer ouvertement avec les médias. Toutefois, nous tenons à remercier Annie Coulombe, porte-parole de la Corporation, et Pierre Laberge, directeur des communications au ministère du Travail, pour leur participation.

 

Ça s’étire

Le conflit perdure depuis si longtemps que les deux parties ont maintenant appris à vivre l’une sans l’autre. Ainsi, la grande majorité des syndiqués composent avec leur allocation (voir encadré) combinée à un salaire d’appoint provenant d’un nouvel emploi à temps partiel. Si certains ont perdu beaucoup dès le début du conflit ou carrément quitté le métier, d’autres avouent mieux tirer leur épingle du jeu qu’avant.

Quant aux concessionnaires, les propriétaires et les cadres font eux-mêmes certains travaux mécaniques et ont recours à des garages privés pour l’exécution de travaux plus spécialisés. Les clients qui passent outre les piquets de grève ont aussi changé leurs habitudes et font le va-et-vient entre la concession et le garage privé pour l’entretien ou la réparation de leur véhicule. Il est naturel ici de remettre en question la qualité d’exécution de ces travaux dont plusieurs exigent une formation et/ou une certification du constructeur. Des formations n’ont pas été suivies depuis deux ans. Et que dire des nombreux rappels que l’industrie a connus?

Bien que les concessionnaires se serrent les coudes et doivent communiquer seulement à travers leur représentante, en l’occurrence Annie Coulombe, conseillère en relations du travail et porte-parole de la Corporation, les positions semblent floues. Sous le couvert de l’anonymat, un concessionnaire a confié à AutoMédia que s’il pouvait s’assoir directement avec ses employés, il serait en mesure de régler la situation avec les siens rapidement. Un second préfère laisser la parole à Mme Coulombe, car il juge « que ça va bien pour nous ». Bien entendu, des gens laissent entendre que certains concessionnaires semblent vouloir mettre fin à la syndicalisation de leurs employés.

Voyez en quels termes Georges Bouchard, président du Syndicat démocratique des employés de garage, s’est confié au quotidien Le Soleil : «Ce qui se passe ici, ça va aussi se passer ailleurs au Québec. Nous servons, en quelque sorte, de banc d’essai pour les employeurs qui, désireux de vouloir s’emplir les poches davantage, sabotent les conditions de travail et provoquent des pertes d’emploi».

Choses certaines, le climat est loin d’être sain et les altercations se multiplient, si bien que les deux parties sont plus occupées à gérer les mises en demeure, les accusations et les procès qu’à travailler à un règlement et discuter des points en litige. Au 20 février 2015, plus de 160 outrages au tribunal et de multiples mises en demeure avaient été déposés auprès des syndiqués. Les concessionnaires ont également reçu des griefs et des plaintes de la part du syndicat.

Sans pouvoir donner de date précise, Annie Coulombe a affirmé que la présentation d’une offre patronale se trouvait toujours à l’agenda – offre censée être présentée au mois de février. (En date du 26 février, aucune rencontre ou présentation d’offre n’était confirmée.)

Pour sa part, Pierre Laberge, directeur des communications au ministère du Travail,a tenu à souligner le fait qu’un médiateur n’accorde jamais d’entrevue en période de litige : « Il faut rester prudent dans les déclarations et respecter la confidentialité ». Il a également confirmé que Normand Gauthier était toujours au poste de médiateur.

 

Positions différentes

Joël St-Amant, apprenti technicien et commis aux pièces depuis 25 ans au Garage Paul Dumas, à St-Félicien.

 Pourquoi dites-vous que la Corporation désire « casser » le syndicat ?

Ils (la Corporation) nous l’on dit : changez de syndicat, puis on va négocier. Je ne vois pas pourquoi je changerais de syndicat alors que j’ai toujours été bien représenté et servi. Ils nous ont présenté une offre sachant bien qu’on la refuserait. La Corporation s’est préparée au lockout, les caméras de surveillance ont été installées bien avant mars 2013.

Selon vous, la convention signée à Québec pourrait-elle être acceptée ici ?

Oui, ce qui a été signé à Québec est similaire à 90 % à notre convention. Tout le monde est d’accord sur beaucoup de points et sur l’horaire 4 jours/36 heures et si c’était si mauvais, pourquoi les concessionnaires achètent d’autres concessions ?

À quoi vous attendez-vous comme nouvelle offre patronale ?

Je n’ai pas beaucoup d’espoir. La Corporation nous a présenté une convention très différente qui ne répondait pas du tout à nos demandes, une convention réécrite de A à Z qui nous ramène 35 ans en arrière.

Désirez-vous que le conflit se règle ?

Oui, mais je n’ai aucun espoir au niveau de la convention. Il va y avoir quelques changements, mais pas grand-chose! La Corporation ne veut pas négocier, elle veut imposer, c’est là qu’est le problème! »

 Bien qu’Annie Coulombre, porte-parole de la Corporation ne donne pas d’interview de fond, elle a malgré tout bien voulu répondre à quelques questions :

Que répondez-vous aux syndiqués qui croient que le conflit perdure parce que la Corporation désire « casser » le syndicat ?

On ne peut pas « casser » un syndicat et on ne veut pas non plus donner des leçons. Il en revient aux employés de choisir leur syndicat.

Pourquoi croyez-vous qu’une convention très similaire ait été acceptée par les travailleurs dans la région de Québec et pas ici?

Je crois qu’il est dangereux de comparer les deux régions. Les réalités sont bien différentes au niveau du type de clientèle, des salaires et des besoins. Ici au Saguenay, nous avons des conditions particulières à respecter.

 L’offre sera-t-elle très différente de la convention qui a pourtant existé pendant six ans ?

La convention ne fonctionnait plus et on ne peut plus se permettre ça aujourd’hui. Nous travaillons très fort depuis deux ans à bâtir une offre très concurrentielle à tous les marchés. La main-d’œuvre spécialisée est de plus en plus rare et la rétention de cette main d’œuvre importe aux concessionnaires.

 Quel message aimeriez-vous donner en fin de compte ?

Que l’on souhaite s’assoir et trouver des solutions pour un retour au travail harmonieux et que tous soient satisfaits sans oublier les 650 autres personnes qui travaillent actuellement pour le même syndicat.

 

Points importants en litige (4 parmi 22 points disputés)

  • Abolition de la semaine de 4 jours/36 heures

Condition présente depuis l’an 2000.

  • Plage de travail du lundi 7 h à minuit, le vendredi

L’horaire de travail proposé comprend une seule plage. Les heures de travail peuvent donc être réparties n’importe quand à l’intérieure de cette plage avec une seule restriction, soit un déplacement de l’employé pour un minimum de trois heures de travail tel que déterminé par la Loi sur les normes du Travail.

  • Création d’un nouveau statut d’employé à temps partiel (sur appel) et sous-traitance

La Corporation se réserve le droit d’envoyer certains travaux en sous-traitance à l’extérieur du garage en tout temps, même si des techniciens se trouvent en chômage. Cette délégation du travail de mécanicien touche également les cadres qui auraient le droit de faire certains travaux, tant qu’ils n’atteignent pas une semaine complète de 40 heures, encore là, même si des employés de garage se trouvent en chômage.

  • Réduction des congés mobiles et de maladies

Une subvention avait été accordée aux employeurs afin de pouvoir créer davantage de postes et ainsi faire travailler plus de gens. Avec ces travailleurs en plus, la semaine de travail avait été réduite à 36 heures. Dans ce contexte, les employés avaient accepté de réduire leurs congés mobiles et leurs jours de maladies. De plus, de nouvelles restrictions sont proposées pendant les périodes de chasse et de pêche.

 

Le lockout en chiffres

Allocation de lockout de la CSD: 225 $

Contribution syndicale (à rembourser): 175 $

Total hebdomadaire : 400 $

Présence hebdomadaire au piquet de grève 15 heures *

Maximum d’heures de travail à l’extérieur  30 heures

*la quantité d’heures obligatoires au piquet de grève dépend du nombre d’employés de garage.

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