Le 10 mars, Don Romano a cédé son fauteuil de président de Hyundai Canada à Steve Flamand en échange de celui d’Australie et d’un rôle de conseiller en chef de Hyundai Motor Pacific. Quarante-huit heures avant que le Californien de naissance, aujourd’hui citoyen canadien, ne s’envole vers les kangourous, nous avons revisité ensemble des moments forts de sa décennie à la barre de la marque coréenne.

 

La retraite

La dernière fois que nous avons jasé, tu évoquais ta retraite imminente. Qu’est-il arrivé ?

José Muñoz est arrivé ! Lui et moi avons toujours été proches. Le Canada est aujourd’hui le pays le plus performant au monde pour Hyundai et José a vu grandir ce succès. À son arrivée (2019), nous perdions de l’argent, des parts de marché et des ventes. Il m’a donc lancé un défi et, heureusement, nous avions un plan. Je venais d’engager Steve Flamand, et la première année où nous avons commencé à gagner de l’argent a été la première année complète de José. Il est venu ici, nous avons célébré l’événement, puis il nous a mis au défi d’en faire toujours plus, et l’équipe a relevé tous les défis qu’il nous a lancés.

 

Le programme image

Tu es nommé président de Hyundai Canada en janvier 2014, la marque nage alors en eaux troubles et toi, tu imposes un programme Image à tes concessionnaires. Ils ont dû t’aimer…

Ils m’ont détesté. Mais il faut prendre des risques. Si vous travaillez toutes ces heures, vous devez croire en l’avenir de l’entreprise, c’est la première condition. Et j’y ai cru parce que le président Euisun Chung était en pleine ascension. Il était jeune et il avait beaucoup de vision. On peut dire que j’ai adhéré à 100 % à ce qu’il voulait faire de l’entreprise qu’il avait reprise de son père (Mong-koo Chung) et de son grand-père (Ju-Yung Chung). J’ai travaillé avec lui. J’allais en Corée et je l’écoutais.

La concession Chomedey Hyundai, située à Laval

 

Pourquoi les concessionnaires avaient-ils besoin d’un programme Image ? 

Parce que nous étions considérés comme une marque alternative à rabais et que personne ne survit en étant une marque alternative à rabais. Notre produit était bien meilleur que cela, mais nous n’en parlions pas et nous n’y croyions pas nous-mêmes. Alors, nos concessionnaires, tout le monde était toujours à la recherche de ces 5000 $ de réduction pour que le produit soit moins cher que les autres. Mais j’ai dit que c’était une erreur parce qu’en regardant l’horizon, on voyait ces marques nouvelles avec des noms chinois qui naviguaient toutes vers nous. Nous savions que les marchés allaient changer et qu’à moins de monter en gamme et de faire en sorte que les gens se sentent vraiment bien lorsqu’ils stationnent une Hyundai dans leur entrée, nous ne pourrions pas survivre.

Mon objectif n’était pas seulement de réussir au cours des 10 prochaines années, mais aussi d’établir des fondations avant que les Chinois n’arrivent – et ils arriveront, ce n’est qu’une question de temps. En plus, il existe d’autres constructeurs automobiles en dehors de la Chine. Il y en a en Malaisie, en Inde, en Russie. Nous ne traitons pas encore avec eux, mais qui sait ce que l’avenir nous réserve ? En Australie, je devrai affronter plus de 80 marques, contre 38 au Canada. Il existe plusieurs constructeurs automobiles !

Obtenir des concessionnaires qu’ils investissent des millions de dollars dans une nouvelle image et, ensuite, essayer de les faire adhérer à cette image, c’était un risque. Ça allait être un succès ou un désastre complet. Mais c’est parfois ce qu’il faut faire pour diriger une organisation. On ne peut pas venir au travail et toujours faire la même chose tous les jours. 

En 2014 et 2015, les concessionnaires nous ont attribué la pire note de l’industrie et j’ai dû réduire certaines marges, ce qui n’a pas été très bien accueilli. Puis, vers 2017, la situation a commencé à se redresser. Les concessionnaires qui avaient investi et construit ces magnifiques installations ont soudain commencé à obtenir de bons résultats. En 2018 et 2019, la situation s’est encore améliorée. Et puis, il y a eu la pandémie…

 

… et la pandémie

C’était le temps de prendre un nouveau risque. Nous savions que les Japonais se retireraient parce que la prudence fait partie de leur culture. Le jour où le gouvernement a commencé à fermer les commerces, j’ai réuni tous mes concessionnaires en ligne et je leur ai dit que nous n’allions pas fermer, que nous allions rester un service essentiel. Nous avons publié un manuel de sécurité et un kit, et j’ai dit : « Demain, nous vendrons des voitures. Je ne veux pas entendre qu’on a peur de mourir. Tout va bien se passer, nous sommes en affaires, nous sommes ouverts, nous allons faire de la publicité, nous allons réussir. » Et ça a fonctionné !

Kia a suivi, puis les nationaux. Les Japonais s’étant retirés comme prévu pendant un certain temps, nous avons pris leur part de marché. Nous avons abattu un travail phénoménal et les concessionnaires ont commencé à être très profitables : « Don, c’est plus que ce que nous ayons jamais gagné ! »  Je peux prendre le crédit qu’au moment où la crise a éclaté, 80 % des concessionnaires avaient construit de superbes bâtisses.

Ils avaient adhéré à la vision. Nous n’étions plus la marque détestée, je n’étais plus le PDG détesté. Ils sont devenus des partenaires. Je m’occupais de leur santé financière, ils s’occupaient de nos chiffres de vente. Tout le monde faisait ce qu’il fallait. 

 

L’électrification

Le mérite revient à 100 % à Euisun Chung. Il a appelé sa vision « Progrès pour l’humanité ». Il savait tout simplement qu’en fin de compte, il n’y a qu’une quantité limitée de pétrole que l’on peut brûler sans perturber l’économie ou épuiser les réserves. Il savait donc que les VÉ allaient finir par représenter l’avenir. Les nationaux ont commis une erreur tactique embarrassante et nous en avons profité. Ainsi, Ford a décidé que seuls certains concessionnaires vendraient des VÉ. J’ai trouvé ça ridicule parce qu’en fin de compte, que ce soit dans 5, 10 ou 20 ans, tout sera électrique. Nous savions aussi que les Japonais allaient encore prendre leur temps. Nous avons pris la direction opposée. J’ai dit à mon monde : « Vous allez tous suivre une formation et vous allez tous devenir des experts, car c’est ainsi que nous ferons face à la croissance rapide que nous prévoyons. » Mes concessionnaires ont installé des chargeurs, ils ont suivi des cours, nous avons organisé des formations dans tout le pays, nous avons mis en place un programme de certification. Personne n’a été laissé pour compte. Si quelqu’un était un peu lent, nous mettions plus de ressources à sa disposition pour l’aider à aller plus vite. Bref, nous nous sommes lancés à fond.

 

L’Avenir

L’avenir électrique te paraît-il incertain à cause de l’élimination des incitatifs gouvernementaux ?

Oh non. Je veux dire, il y a toujours des hauts et des bas, rien n’est toujours comme ça (Don pointe sa main vers le haut). Ça se passe plutôt comme ça (il mime des montagnes russes). Nous allons vivre l’un de ces creux. Mais la courbe remontera parce que, premièrement, nos VÉ sont fantastiques à conduire et, deuxièmement, nous devons encore mettre en place l’infrastructure nécessaire.

Il y a toujours une opportunité. Tout dépend de la manière dont on envisage les choses. Hyundai avait une vision que nous n’avons pas encore concrétisée et je laisse à Steve Flamand, le nouveau PDG de Hyundai Canada (voir texte en page ___), le soin de le faire : installer une borne de recharge de niveau 3 près de chaque patinoire au pays ! Nous en avons déjà parlé à Flo. Nous vendons encore beaucoup de VÉ, même en ce moment, mais il y a toujours plus à faire. Il faut toujours être créatif.

Prototype de la Hyundai Ioniq 7

 

Ça tombe bien, car tu es un homme créatif, n’est-ce pas, Don ?

Oui. Mes parents étaient musiciens à Hollywood. Cet historique est venu avec le paquet. Je suis probablement plus créatif qu’intelligent.

 

Genesis

Nous avions déjà un modèle Genesis et j’ai dû le retirer. Évidemment, après leur avoir demandé d’investir des millions dans leurs installations, et après tout ce que nous avions traversé, les concessionnaires n’étaient pas trop heureux. Puis, les États-Unis ont essentiellement donné la marque Genesis à presque tous les concessionnaires. Aux vendeurs d’Equus, ils ont dit : « Prenez la G90 »; à d’autres concessionnaires, ils ont dit : « Prenez la G80 ». J’ai refusé de procéder ainsi. Nous allions choisir 30 de nos meilleurs concessionnaires au pays pour représenter Genesis dans le cadre d’un modèle d’agence. Encore une fois, mon monde n’était pas très content. 

Mais nous venions de former Hyundai Capital Canada, notre première société financière captive, et mon équipe et moi avons parcouru le pays pour montrer des photos de nos futurs produits. Les marchands ont trouvé le Kona vraiment cool. Ils aimaient aussi le Palisade et les véhicules électriques. En fin de compte, ils m’ont donné leur accord pour Genesis.

J’ai eu quelques concessionnaires, comme Denis Leclerc et Paul Daigle, qui m’ont déclaré que « non, je ne signerai jamais ça », et je leur ai répondu que « oui, tu vas le faire parce que j’ai besoin de toi ». Je me souviens que Paul m’a dit : « Tu sais, je vais le faire parce que c’est toi, parce que j’ai confiance en toi. » J’ai répondu que je ne le laisserais pas tomber. Je savais que le produit allait être phénoménal. Et je savais qu’ES Chung avait tout mis dans ce projet. C’était son bébé. Et je voulais vraiment construire une marque différente.

Euisun Chung a-t-il imaginé ce modèle d’agence ?

Non, c’était moi. Nous avons envisagé de vendre directement comme Tesla. Tout le monde veut vendre directement comme Tesla. Le problème, c’est que nous (les constructeurs), nous ne sommes pas doués pour la vente au détail. Nous sommes peut-être innovants, mais nous ne sommes pas très malins lorsqu’il s’agit de signer des contrats. Je suis passé par là. Vingt ans auparavant, chez Ford, j’étais chez Mazda, et Ford a pris en charge toute la distribution dans l’Utah et le Colorado. J’étais responsable de cette région et j’ai vu notre part de marché passer de 7 % dans l’Utah à 1,7 % en cinq mois. C’était un véritable désastre. J’avais donc vécu cette expérience. Je savais que l’esprit d’entreprise indépendante était essentiel à la réussite, mais je n’aimais pas particulièrement la façon dont les lois sur les franchises limitaient notre capacité à traiter avec le client en ligne comme Tesla. J’avais donc besoin d’une solution qui fasse les deux. Qui me permettrait de tirer parti de l’esprit d’indépendance des concessionnaires, mais qui, en même temps, me permettrait de vendre les voitures en ligne sans problème. Le meilleur des deux mondes. Ce que j’appellerais un modèle hybride. Et nous avons décroché la meilleure part de marché au monde !

Le grand patron de HMC a pris la pose pour Newsweek en 2022. Son surnom : The Disruptor )le perturbateur)

 

Des témoignages

Paul Daigle

Je connais Don depuis plus de 20 ans. Nous nous sommes connus pendant qu’il assumait le poste de président et de directeur marketing en 2006 pour Mazda.

Don a fait beaucoup pour les concessionnaires canadiens, tant chez Mazda Canada que chez Hyundai Auto Canada, et les distributeurs de Genesis Canada.

 Ça a été un grand honneur et privilège de travailler avec lui pendant de nombreuses années chez Mazda et, bien sûr, chez Hyundai et Genesis.

 Son leadership est contagieux; il a toujours su bien s’entourer sur le plan corporatif, et il a toujours su rassembler le réseau de concessionnaires pour transmettre ses idées ou ses projets, venant de lui ou des constructeurs.

 Les résultats parlent d’eux-mêmes : Hyundai Auto Canada et Genesis Canada sont les filiales de Hyundai Motor Group qui montrent les croissances les plus importantes au monde.

 Nous avons d’ailleurs été reçus tout dernièrement en Corée, et le constructeur lui-même nous faisait part de ces résultats, tout à l’honneur de Don.

 Sous sa direction, j’ai connu les meilleures performances chez Hyundai et Genesis; et chez Mazda, il aura laissé un réseau de concessionnaires en excellente santé financière.

 Il a accepté un mandat pour Hyundai et Genesis en Australie, où les défis seront encore au rendez-vous. Mais je suis persuadé que ses compétences, connaissances, expérience et gestion feront en sorte qu’il connaîtra encore un grand succès, tant pour le constructeur que pour ses concessionnaires.

 Je lui souhaite tout le succès mérité.

 Bravo et merci, Don !

Paul Daigle et Don Romano

 

Denis Leclerc

J’ai connu Don chez Mazda en 2010 et ça a cliqué dès le départ ! Notre première rencontre a eu lieu dans une piscine d’hôtel, en pleine séance de longueurs avant une rencontre de concessionnaires. C’est là qu’on a commencé à jaser, et depuis, nos échanges n’ont jamais cessé !

 Don est un vrai beach boy californien, un excellent nageur et un surfer-né. De Mazda à Dubaï, puis Hyundai et maintenant l’Australie, il a toujours su relever les défis avec talent et écoute. L’Australie – better be ready –, il va sauter dedans comme un kangourou et la maîtriser en quelques semaines !

 Toute l’équipe d’ALBI le Géant lui souhaite une longue carrière… car, soyons honnêtes, on n’a jamais cru à sa retraite !

De g. à d. : Yannick Dugas, vice-président ventes ALBI Hyundai Mascouche, Peter Codispoti, directeur Hyundai au Québec, Denis Leclerc, président ALBI le Géant, et Don Romano, président Hyundai Canada.
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