Ian Callum est un designer qui a travaillé pour Ford (1979-90) et TWR Design (1990-99) avant de devenir le directeur du design chez Jaguar Cars (où il s’occupa aussi des DB9 et Vantage d’Aston Martin). L’Écossais de 62 ans caressait depuis fort longtemps le rêve de travailler pour Jaguar puisqu’il avait soumis un premier dessin à ce constructeur alors qu’il avait que 14 ans ! AutoMédia a eu la chance d’un entretien privé.
AutoMédia : Vous avez déjà dit : « Nous sommes un constructeur qui excelle à fabriquer des voitures dramatiques. » Pourquoi ce qualificatif ?
Ian Callum : Parce que je suis avec Jaguar depuis longtemps, je cherche à définir le mieux possible qui nous sommes. On ne peut pas copier, nous devons innover. Toutes les Jaguar sont visuellement dramatiques. Les E-Type et les D-Type étaient dramatiques visuellement mais il émanait aussi d’elles un sentiment de vitesse et de performances. On conduit une Jaguar et on souhaite qu’il se passe quelque chose, visuellement et au volant.
AM : Un constructeur doit avoir sa propre « recette ». Vous êtes le responsable du design chez Jaguar mais y a-t-il d’autres « chefs » qui participent à la recette?
I.C. : Oui. Nous avons, entre autres, Mike Cross, qui est en charge de l’intégrité des véhicules et nous avons tous les autres chefs dans les autres départements. Nous sommes tous à la recherche de l’équilibre entre le confort et la sportivité, le parfait compromis entre les deux.
AM : Comment ça va avec Ratan N. Tata (ndlr : Tata Motors a acheté Jaguar et Land Rover de Ford en 2008 pour 2,3 milliars de dollars) ?
I.C. : Très bien. Il vient nous visiter à tous les trois mois. Il contribue beaucoup, il nous donne son avis en tant qu’architecte général de la compagnie. Je crois, par contre, avoir carte blanche et qu’il me fait confiance avec mes choix et décisions. Par contre, je ne me lancerais jamais dans quelque chose sans demander l’avis de mes confrères.
AM : Le fait d’avoir le compte en banque de Tata à l’arrière-scène doit rendre votre vie plus facile ?
I.C. : Oui, quand nous avons relancé la marque, la présence de liquidités a aidé. Mais, en plus, Tata a établi un plan sur 10 ans. Je crois que si on a une vision trop courte, on ne peut refaire une marque. Tata est là pour que ça fonctionne.
AM : Comment se sent-on à travailler pour une compagnie établie en Inde, un pays qui était il n’y a pas encore si longtemps (1947) une colonie britannique ?
I.C. : Ça n’a rien de spécial. Il y a beaucoup d’Indiens de 2e et 3e générations en Angleterre. Et j’adore aller en Inde. Nos cultures se marient bien.
AM : Discutez-vous parfois de design avec votre frère Moray (ndlr : né en 1958, il est l’actuel vice-président du design chez Ford) ?
I.C. : Nous parlons beaucoup d’automobile en général mais très peu de design.
AM : Êtes-vous en compétition l’un avec l’autre ?
I.C. : Non, pas vraiment. Nous avons travaillé ensemble dans le passé. Je suis fier de mon frère et je ne suis pas gêné de lui dire.
AM : Avez-vous un mot à dire dans le design de Land Rover?
I.C. : Non, c’est strictement le travail de Gerry McGovern, le directeur du design de LR.
AM : Que pensez-vous sincèrement du Range Rover Evoque convertible?
I.C. : J’adore les convertibles et j’aime l’Evoque. Je conçois toutefois que ce modèle ne plaise pas à tout le monde. Je crois que les jeunes femmes urbaines seront attirées par celui-ci.
AM : Depuis que vous êtes chez Jaguar, est-ce que votre plus gros projet a été la F-Type?
I.C. : J’ai eu beaucoup de satisfaction à travailler sur ce projet. La F-Type a imposé des exigences très différentes de la nouvelle XE, par exemple. Les clients d’une sportive sont plus exigeants, bien que ceux d’une voiture familiale aient aussi des demandes bien précises. Notre récent utilitaire F-Pace a été un autre défi intéressant. Nous apprenons beaucoup au fil des années en créant des véhicules qui sont destinés à une clientèle plus large, nous acquérons de l’expérience. Je crois que le F-Pace fera tourner plusieurs têtes.
AM : Si on se fie au succès du Cayenne et du Macan chez Porsche, le potentiel du F-Pace est énorme… si le produit est bon !
I.C. : Oui, si le véhicule est bon… Mais comme ses performances sont fabuleuses et que la qualité est là, nous sommes sur la bonne voie.
AM : Quand vous avez pensé à la F-Type, aviez-vous l’impression que vous deviez faire mieux que la mythique E-Type?
I.C. : Non. J’étais conscient que la E-Type est là, mais je ne voulais pas la copier. De nos jours, il faut composer avec des réalités comme les nouvelles motorisations, la sécurité des piétons, la traction intégrale, des facteurs qui affectent la voiture moderne mais dont la E-Type n’a pas eu à se soucier. Nous savions seulement que nous devions faire la meilleure voiture possible. Nous l’avons appelée F-Type qu’à la toute fin, d’ailleurs.
AM : Sur quoi travaillez-vous en ce moment?
I.C. : Sur la nouvelle esthétique de la prochaine XJ. Elle doit être digne de ce modèle. C’est plus difficile de changer quelque chose qui est parfait que de réparer quelque chose qui est brisé.
AM : Avec la C-X75, vous avez entre les mains un très beau concept. Avez-vous jamais espéré qu’une voiture aussi audacieuse puisse entrer en production?
I.C. : Nous avons décidé de ne pas avancer le projet parce que nous avions les mains pleines avec les modèles courants. Et nous voulions nous concentrer sur la base, sans être distraits. Ce n’était pas tant une question d’argent que de ressources.
AM : Vous travaillez donc surtout sur des véhicules qui finiront sur nos routes ?
I.C. : Oui, bien sûr. Par exemple, j’ai hâte de voir la direction que prendra la F-Type dans le futur. Mais si vous me parlez d’un supercar, nous n’avons aucun plan dans ce sens pour l’instant.
AM : Si vous étiez un gars de marketing, comment décririez-vous Jaguar en 2016?
I.C. : Jaguar est revenue à ses racines, c’est-à-dire à sa mission de créer des voitures sport excitantes. Le mojo est revenu, les ventes augmentent, la motivation est là.
AM : Allez-vous prendre votre retraite bientôt?
I.C. : Non, je suis un designer. Or, les designers ne prennent jamais leur retraite !