Et si le client avait un seul point de contact en concession ?

Vente, produits F&A, livraison, prise de rendez-vous à l’atelier mécanique… Et si une seule personne veillait à tous ces volets pour servir le consommateur ? Pourrait-on voir un jour en concession une seule personne responsable de tous ces points de contact avec le client ? L’idée est soulevée. Est-elle réaliste ? Utopique ? Plusieurs acteurs au sein de l’industrie y croient. D’autres doutent fortement de la viabilité de ce concept. Le débat est lancé.

« Je ne suis pas contre cette formule », indique d’emblée Benjamin Plourde, président de Garantie Autoroute. Selon cet expert qui évolue dans le milieu des garanties automobiles depuis près de quinze ans, l’idée de simplifier les séquences afin d’offrir un service à la clientèle cohérent, uniforme et plus efficace s’aligne parfaitement avec les valeurs profondes de son entreprise. À la condition, précise-t-il, que ces nouveaux acteurs soient extrêmement bien formés, très professionnels et multitâches.

Benjamin Plourde doute néanmoins que ce changement se fasse dans l’immédiat. « Il faudra changer les mentalités, qui sont déjà très ancrées dans l’industrie. Mais il faudra surtout accorder encore plus de temps à la formation continue et s’assurer du bon développement des troupes pour que ce modèle puisse prendre ses aises », maintient-il.

Benjamin Plourde, président de Garantie Autoroute.

 

Ça existe déjà ici… et chez nos voisins

L’idée mérite qu’on y prête attention, souligne la direction d’iA Services aux concessionnaires. « Plusieurs consommateurs apprécient d’emblée cette perspective », reconnaît son vice-président régional Québec, Sébastien Alajarin. Cette stratégie, note-t-il, existe déjà chez certains concessionnaires et des marchands de véhicules d’occasion. Elle est également présente chez nos voisins américains, indique-t-il. « Cependant, l’offre de protection d’assurance crédit et de remplacement est inexistante dans plusieurs États. Seuls le financement et les protections d’apparence et mécaniques sont proposés aux consommateurs américains. Ce qui simplifie tout le processus », explique l’expert d’iA Services aux concessionnaires.

« Quoi qu’il en soit, la réussite de cette transition demandera des efforts importants. Elle demandera une planification rigoureuse et l’engagement des dirigeants et des équipes en concession » – Sébastien Alajarin – vice-président régional Québec, d’iA Services aux concessionnaires. 

La formule soulève néanmoins plusieurs questions à ses yeux. Est-ce que l’offre de produits pourra être aussi complète ? Quels seront les enjeux sur le plan de la rétention des employés des ventes ? Est-ce que les revenus seront impactés ? « La clé du succès de cette stratégie résidera dans le niveau de connaissance des personnes responsables de ce processus auprès des consommateurs. Il sera primordial que ces personnes détiennent des connaissances sur les véhicules, les produits financiers sans oublier les aspects techniques », insiste Sébastien Alajarin. 

À ce propos, ce dernier est d’avis que les concessionnaires d’automobiles de luxe figurent parmi des candidats intéressants à l’exploration de ce modèle d’affaires. « Quoi qu’il en soit, la réussite de cette transition demandera des efforts importants. Elle demandera une planification rigoureuse et l’engagement des dirigeants et des équipes en concession », avise ce gestionnaire aguerri.

Sébastien Alajarin
vice-président régional pour la province de Québec,
iA Services aux concessionnaires

 

Ça ne peut pas fonctionner !

Du côté de Sym-Tech, on ne croit pas à la viabilité d’une telle stratégie. « Il y a tellement de rôles spécifiques au sein d’une concession pour servir le consommateur qu’une seule personne ne peut répondre à toutes les questions du client. Quand on sait quel est le prix à payer aujourd’hui pour un client mal servi, le concessionnaire a tout intérêt à veiller à ce que le consommateur ait des réponses claires et précises à chacune des étapes avant et pendant la possession du véhicule », affirme son vice-président provincial, Francis Vallée. 

« Quand on sait quel est le prix à payer aujourd’hui pour un client mal servi, le concessionnaire a tout intérêt à veiller à ce que le consommateur ait des réponses claires et précises à chacune des étapes avant et pendant la possession du véhicule » – Francis Vallée, vice-président provincial pour Sym-Tech. 

Les responsables de la vente de produits F&A ne pourraient-ils pas élargir leurs tâches à la vente ou à la livraison du véhicule ? « Définitivement non, répond du tac au tac Francis Vallée. Déjà que l’accès au crédit est devenu beaucoup plus spécifique en 2023, ce n’est pas le moment que les membres des équipes F&A se laissent distraire par d’autres tâches. La fonction implique plusieurs responsabilités dans la concession qui sont sous la supervision d’organismes réglementaires. Chez nous, nos distributeurs ont droit à la meilleure expérience client. Et cette expérience passe par des réponses claires et précises pour chacune de leurs questions », renchérit cet expert.

« Ça n’arrivera pas. Déjà qu’il est difficile d’introduire la vente en ligne, donc revoir les stratégies mêmes de la vente traditionnelle demeure, à mon humble avis, un concept utopique. » – Antoine Joubert, chroniqueur automobile. 

Le chroniqueur automobile Antoine Joubert, qui a travaillé près d’un an chez un concessionnaire, doute lui aussi que la formule « un seul contact client-concession » prenne racine dans l’industrie automobile québécoise. « Ça n’arrivera pas, indique-t-il d’un ton formel. Déjà qu’il est difficile d’introduire la vente en ligne, donc revoir les stratégies mêmes de la vente traditionnelle demeure, à mon humble avis, un concept utopique. En revanche, il pourrait être possible de réduire de cinq à deux personnes le nombre de liens contacts entre le client et la concession », commente-t-il.

Francis Vallée, vice-président provincial pour Sym-Tech et Antoine Joubert, chroniqueur automobile.

 

Non, mais…

Le discours de Jean-Claude Rabbat, président de Solution Globale, est similaire. « La vente de produits d’assurance en concession automobile est régie par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Ce qui implique beaucoup trop de formation et d’encadrement pour une personne qui devrait en plus veiller à la vente, à la livraison de véhicules ainsi qu’à la prise de rendez-vous au département de services », avise cet expert qui gravite dans la distribution de produits d’assurance automobile depuis plus de 15 ans. 

En revanche, réunir les tâches de la vente, de la livraison et du service technique peut être possible, croit Jean-Claude Rabbat. « Mais attention, avertit-il. Bien que cette formule puisse plaire aux clients, encore faut-il que la personne contact excelle dans l’art des relations auprès des consommateurs. Par expérience, faire affaire avec une personne contact qui n’est pas à sa place peut causer plus d’ennuis à une concession que de positif. »

« En revanche, réunir les tâches de la vente, de la livraison et du service technique peut être possible » – Jean-Claude Rabbat, président de Solution Globale

Pour cette raison, M. Rabbat est d’avis que le concept peut fonctionner si la concession compte au sein de son équipe des « super employés » motivés par leurs fonctions comme s’ils étaient eux-mêmes propriétaires de l’établissement. Dans le cas contraire, la concession se tire une balle dans le pied. 

Jean-Claude Rabbat, président de Solution Globale

 

Pourtant, c’est le bon moment !

« Il va de soi que ce concept n’est pas applicable si l’industrie automobile reste profondément ancrée dans son modèle d’affaires actuel », concède le président de Noahvik Consultant, Dominic Sigouin. Le concept mérite tout de même réflexion, ajoute-t-il. Soulignons que ce reportage fait justement suite à l’article de ce consultant paru sur le site de la CCAQ  en janvier dernier.

Selon ce consultant, l’industrie, qui vient de passer au travers de la pandémie, se trouve probablement dans un contexte idéal pour justement réorganiser son modèle d’affaires. « Le personnel des ventes doit déjà composer avec de longs délais de livraison. Cette situation m’apparaît le bon moment pour tenter d’appliquer la formule », soutient le consultant

« Je n’ai jamais été en faveur de la création du poste des personnes dédiées à la livraison des véhicules. Il s’agit à mes yeux d’un manque de respect à l’endroit du consommateur. Cette stratégie du contact unique serait donc l’occasion de revenir à la base et d’établir une relation continue avec le client » – Dominic Sigouin, Noahvik Consultant.

Dominic Sigouin profite d’ailleurs de cette réflexion pour exprimer le fond de sa pensée. « Je n’ai jamais été en faveur de la création du poste des personnes dédiées à la livraison des véhicules. Il s’agit à mes yeux d’un manque de respect à l’endroit du consommateur. Cette stratégie du contact unique serait donc l’occasion de revenir à la base et d’établir une relation continue avec le client », partage le consultant automobile.

Dominic Sigouin, Noahvik Consultant.

 

 

Ce qu’en pensent des concessionnaires

Jacques Olivier, qui se trouve à la tête du troisième plus important groupe de concessions automobiles au Québec, n’est pas contre l’idée. « Il serait sans doute possible de regrouper les tâches du personnel des ventes, des F&A et de la livraison en un seul poste de travail. Bien que cette transformation ne soit pas pour demain matin, je pense que nous devons nous pencher sur cette initiative qui permettrait d’offrir un service encore plus personnalisé. D’autant plus que cela pourrait aider à mieux contrer la pénurie de main-d’œuvre. » Jacques Olivier est d’ailleurs convaincu que l’introduction de technologies et l’achat en ligne vont accélérer ce changement d’approche auprès de la clientèle.

« Bien que cette transformation ne soit pas pour demain matin, je pense que nous devons nous pencher sur cette initiative qui permettrait d’offrir un service encore plus personnalisé » – Jacques Olivier, président du Groupe Olivier. 

En attendant, le concept existe déjà chez Cadillac Île Perrot. Depuis novembre 2022, la concession est devenue la toute première adresse dans l’est du pays à afficher la nouvelle image ainsi que le modèle d’affaires que souhaite véhiculer la marque de luxe de GM. « Nos clients font désormais affaire avec une seule personne de A à Z. Grâce à nos nouveaux spécialistes de la marque, nous avons éliminé le parcours traditionnel du consommateur, qui rencontrait le vendeur, le F&A, le préposé à la livraison, le directeur des ventes », raconte André Gingras, président du groupe Autoforce, propriétaire de la concession Cadillac Île Perrot.

« Nous sommes toujours en période de rodage, mais jusqu’à présent, nous sommes ravis de l’expérience » – André Gingras, président du groupe Autoforce

Résultat ? « Nous sommes toujours en période de rodage, mais jusqu’à présent, nous sommes ravis de l’expérience », indique le concessionnaire Gingras. Les clients, dit-il, sont très satisfaits de la formule. « Plusieurs nous ont confié ne plus avoir l’impression de se retrouver sur une chaîne de montage. Et lorsque nos clients ont une question, ils savent qu’ils ont désormais une personne-ressource à qui s’adresser. Évidemment, quels que soient les avantages de la formule, le défi est de trouver ces personnes clés maîtrisant tous les aspects du processus », conclut André Gingras.

Jacques Olivier, président du Groupe Olivier et André Gingras, président du groupe Autoforce

 

Note de la rédaction

Comme l’illustrent les propos recueillis pour ce dossier, le concept est loin de faire l’unanimité dans l’industrie. Or, quelle que soit la prise de position face à la formule du seul contact en concession, cette dernière mérite réflexion. 

 

 

 

 

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