Alexandre Pollich, 48 ans, occupe le fauteuil du président-directeur général de Porsche Cars Canada depuis le 1er septembre 2013, succédant à Joe Lawrence. Au moment de notre rencontre à ses bureaux de Mississauga, en plus de guider la division canadienne du constructeur vers une 6e année de ventes record, le père de deux ados affûtait sa forme physique en se préparant pour un demi-marathon. Voici la version intégrale de la très intéressante entrevue qu’il a accordé à AutoMédia.
De 2014 à 2015, les ventes de Porsche Canada ont augmenté de 34%. Mais Nissan annonce à la télé avoir eu la plus grosse augmentation. Qui dit vrai?
Selon DesRosiers Automotive Consultants, notre chiffre est de 34% et celui de Nissan, 27%. Porsche a eu la plus grosse augmentation en 2014. J’ai vu ces annonces de Nissan. Elle comporte une note qui stipule que les chiffres ont été calculés sans tenir compte des constructeurs de voitures de luxe.
Quand la Boxster Spyder sera-t-elle en vente au Canada?
Au troisième quart de 2015, en même temps que la GT4. La réponse pour ces deux voitures, comme pour la GT3 RS, a été fantastique. Je les aime beaucoup parce que ce sont des voitures pour les puristes.
Quand Porche annonce une nouvelle voiture, c’est comme lorsque Apple lance un nouveau produit, il y a de l’électricité dans l’air. Comment expliquez-vous cela?
La marque est forte et les gens demandent nos voitures. De plus, Porsche est particulièrement bien positionnée au Canada.
Il y a des rumeurs voulant que Porsche n’utilisera à l’avenir que des moteurs turbocompressés…
Je ne peux le confirmer mais nous en parlons. Nous voulons adhérer aux nouvelles normes environnementales. Nos ingénieurs travaillent sur le poids et les technologies hybrides, nous croyons que c’est le futur. Nous voulons offrir un meilleur produit qui soit plus propre sans compromettre la performance.
N’est-ce pas une contradiction?
En effet, mais nous adorons les défis et nous pensons pourvoir le relever. Le mot « impossible » stimule nos ingénieurs ! La 918 Spyder en est un parfait exemple : avec elle, on peut aller magasiner en consommant aussi peu que 3 litres aux 100 km, ou on peut passer l’après-midi à fracasser des records sur le Nurburgring. La performance est importante, mais elle doit être propre.
Parlant de la 918, pourquoi gardez-vous secret ses chiffres de ventes au Canada?
Nous voulons aborder le sujet sur une échelle globale. Nous en avons vendu 918 dans le monde et il n’y en n’aura pas d’autres. Il y a une liste d’attente, des gens qui espèrent une annulation. Enfin, nous voulons protéger l’exclusivité, alors nous ne révélons pas de données locales. Et puis, nous ne cachons pas que nous voulons laisser le travail de détective aux journalistes… Vous êtes bons là-dedans !
Croyez-vous un jour qu’il y aura des véhicules entièrement autonomes sur nos routes ?
C’est un phénomène inévitable. Je crois que le principe est bon pour différentes utilisations. Pour la conduite au quotidien, dans le trafic, pour l’efficacité et une bonne gestion du temps, c’est valable. Ces véhicules existeront pour nous faciliter la vie en utilisant la route de manière intelligente. Pour un stationnement plus intelligent, pour le covoiturage. Dans 10-15 ans, la voiture autonome offrira des solutions novatrices pour la gestion du trafic et de la circulation. Ça doit arriver, selon les capacités routières des grandes villes. Certaines voitures d’aujourd’hui sont déjà équipées de dispositifs relatifs à la conduite autonome.
Mais que doit penser du phénomène un constructeur de véhicules sport comme vous ?
Je crois que ça sera bénéfique pour nous et les autres constructeurs. Nos études démontrent que les gens mettent en valeur la mobilité. Les jeux vidéo de courses sont populaires, les gens sont toujours fascinés par les voitures sport. Il y aura un temps où les gens auront une voiture autonome pour les déplacements réguliers et, les weekends, ils auront une voiture pour la conduite dédiée au plaisir, et c’est là que la voiture sport jouera son rôle. « La dernière voiture à être bâtie sera une voiture sport », comme l’a dit notre fondateur, Ferdinand Porsche.
La marque McLaren se montre de plus en plus agressive avec notamment ses nouvelles 570S et 540C. Acura s’en vient avec sa nouvelle NSX. Ça vous rend nerveux, cette compétition?
Je trouve ça excitant! La compétition est bonne dans notre segment. Lorsque quelque chose de nouveau arrive, les gens en parlent beaucoup. Nous croyons que nous sommes les mieux positionnés. Les véhicules mentionnés sont très bons, mais notre GT3 RS, la Cayman et tous nos modèles sont meilleurs.
Existe-t-il un client Porsche type ou ça dépend du modèle?
Nous avons beaucoup de données sur le sujet. En moyenne, notre client type est un homme de 50 ans qui possède plus qu’une seule voiture. Nous voyons les consommateurs comme des individus et nous faisons des voitures pour des gens qui veulent réaliser un rêve. Ils prennent du temps à magasiner, ils ont beaucoup de goût et nous avons plusieurs options pour les satisfaire.
Rencontrez-vous des clients moins fortunés mais qui se priveront presque de manger pour avoir une Porsche ?
Beaucoup de nos clients rêvent d’une Porsche depuis leur tout jeune âge. Le client type en Allemagne est fan de Porsche depuis l’âge de 8 ans ! Et, oui, nous avons des clients qui rêvent toute leur vie de devenir propriétaire d’une Porsche.
Est-ce que ce client sera tenté par les Porsche d’occasion certifiées?
Oui, c’est un point d’entrée. Nous avons un excellent programme de véhicules d’occasion. En fait, il a remporté un prix aux États-Unis (Autotrader Best CPO Program for 2015). Les voitures sont vérifiées, garanties et plus abordables. Les deux tiers des propriétaires de Porsche d’occasion deviennent éventuellement proprio d’une Porsche neuve.
Quel est le modèle préféré des femmes?
Le Macan est à 22% acheté par des femmes, alors que, à l’opposé, la 911 est à 92% l’achat d’un homme. Par contre, nos recherches montrent que les femmes participent au choix du modèle, de la couleur, etc.
Pour protéger l’exclusivité du produit, Ferrari dit toujours produire une voiture de moins que la demande. Porsche partage ce principe ?
Une partie de notre stratégie d’ici 2018 s’appelle « Balance Demand & Supply » (équilibre entre l’offre et la demande). Nous voulons contrôler la valeur de nos voitures et cette exclusivité. La surproduction est terrible, nous voulons l’éviter. Nous voulons nous aussi fabriquer moins de voitures que nous pouvons en vendre. Quand on surproduit, la valeur de revente baisse. Cette année, le Canadian Black Book nous a décerné un prix pour trois modèles parmi ceux qui conservent le mieux leur valeur : Panamera, Boxster et Cayman. Ceci confirme l’efficacité de notre stratégie.
Donc, vous n’inonderez jamais le marché et le Macan restera votre modèle le moins cher?
Oui, nous voulons conserver l’exclusivité. Nous pourrions bâtir une voiture bon marché et en grande quantité, mais nous ne le ferons jamais. Vous ne trouverez rien en-dessous du Macan et de la Boxster.
En 2014, tous les constructeurs au Canada ont fracassé des records de ventes grâce aux camions. Est-ce une mode passagère ou une tendance lourde?
Au Canada en 2010, les SUV et CUV (compact utility vehicle) occupaient 28% du marché, puis 33% en 2014. Nous croyons que ça augmentera dans les prochaines années en Amérique du nord où ce genre de véhicules est populaire en raison de la météo et d’autres facteurs. Le Macan a été introduit pour répondre à la demande d’un CUV de luxe. Ce segment avait besoin d’une Porsche!
Il y a deux rasions d’acheter une Porsche : pour l’expérience de conduite et pour épater la galerie Laquelle reflète mieux l’acheteur canadien?
Clairement la première. Nos clients canadiens sont très terre à terre, ce sont des amateurs de la marque. C’est sûr que ça parait bien d’être assis dans une Porsche, mais la raison principale demeure la conduite. Nous avons plusieurs voitures spécifiquement conçues pour les puristes et, évidemment, il est fréquent que ces voitures se retrouvent sur la piste durant les weekends
Est-ce que plusieurs clients s’inscrivent aux cours de pilotage Porsche pour exploiter leur machine comme il se doit?
Oui, la popularité est grandissante. En fait, nous sommes en train d’étendre nos activités à cet égard au Canada. Nous avons le Camp4 à Mécaglisse qui montre aux gens comment piloter sur la neige. Nous avons ajouté le Camp4RS cette année. Nous avons ajouté le Performance Tour, qui est un rallye sur route, hors route et sur piste. Nous organiserons un événement automnal au Québec, à Tremblant entre autres.
Comment ça fonctionne?
Nous fournissons les voitures. Dans l’Ouest, c’est un tour guidé qui débute avec une balade jusqu’à Whistler. Ensuite, ils pilotent des Cayenne sur un circuit hors route et il y a une partie du programme qui se déroule sur la piste également. Ce sont des gens qui aspirent à posséder une Porsche, ou qui en ont une déjà, et à qui on donne la possibilité de conduire d’autres modèles. Des gens s’offrent ces expériences en cadeau à eux-mêmes !
Vous avez trois concessionnaires au Québec. Est-ce suffisant?
Non. Nous ouvrirons une autre concession, sur la Rive-sud de Montréal cette fois, qui fera partie du groupe Lauzon. Ils sont à l’étape de trouver l’emplacement et d’obtenir les permis. L’ouverture est prévue pour l’été 2016.
Avec ces quatre concessionnaires au Québec, le total canadien passera à 17?
Nous avons 16 concessions présentement. Nous ajouterons Kelowna au début de 2016 et nous ouvrirons un 4e concessionnaire à Toronto. Donc, nous en aurons 19. Nous regardons la situation de près et nous restons à l’affut des opportunités.
Pour vendre des Porsche, il faut être en ville?
C’est ce que nos études démontrent. À Kelowna, nous avons été surpris de constater que la région comptait quelque 500 véhicules Porsche. Nous voulons être près de ces clients pour assurer le service sur leurs véhicules de façon efficace. D’un autre côté, nous avons des investisseurs et nous voulons que ces investissements soient protégés. Nous explorons d’autres possibilités comme des cliniques spéciales pour lesquelles les propriétaires de Porsche seraient contactés. Nous pourrions louer un local et offrir le service et l’entretien. Nous voulons explorer toutes les solutions possibles afin de donner le meilleur service de l’industrie.
Vous avez vendu près de 5 000 unités en 2014. De ce nombre, le groupe Pfaff (ndlr : qui amènera la marque McLaren au Québec en 2016) en a vendu 1 001. Quel est son secret?
Chris Pfaff prodigue une bonne expérience de vente à ses clients, à Woodbridge. Combinez ça avec nos produits, ça donne un mariage parfait.
Pfaff vend aussi McLaren. Ça vous dérange?
Tous nos concessionnaires peuvent vendre d’autres marques. En fait, plusieurs de nos concessionnaires sont des groupes. C’est bénéfique. S’ils sont gros, ils ont plus d’argent et plus de ressources. Nous exigeons seulement que nos produits soient vendus sous un seul toit séparé des autres marques. Pfaff intègre bien notre image et notre mission. Tant que ça c’est respecté…
Pensez-vous que les groupes sont une tendance lourde?
Oui. De plus, des groupes des États-Unis s’en viennent, car le Canada offre beaucoup d’opportunités en vertu de sa stabilité (ndlr : et de son taux de change actuel…).
Y-a-t-il meilleure job que vendre des Porsche?
C’est un privilège que de travailler pour Porsche, spécialement au Canada. C’est un beau pays accueillant. De plus, les affaires vont bien pour Porsche en ce moment, même si ce n’est pas toujours facile!
Cinq années consécutives de records : est-ce que ça va se terminer un jour?
2015 sera une autre belle année pour nous et pour l’industrie en général. Nous voulons pousser plus loin. Étant Allemand, nous travaillons fort pour une amélioration constante.
Les Allemands sont aussi très réalistes. Vous devez bien envisager un chiffre de ventes au Canada qui sera le plafond, que vous ne pourrez pas dépasser ?
Le chiffre n’est pas le plus important. Nous voulons créer de la valeur et non vendre du métal. Nous avons des plans pour grandir, mais si nous voyons que les choses stagnent, nous garderons notre philosophie de conserver la valeur résiduelle de nos voitures.
Faut-il avoir des qualités spéciales pour vendre Porsche chez un concessionnaire? La formation diffère-t-elle des autres constructeurs?
Il y a trois choses importantes que le client doit ressentir quand il entre chez un concessionnaire: un look architectural qui correspond à l’image de la marque, l’excellence de la voiture et que nos employés soient tous des ambassadeurs de la marque. Nous avons un programme de certification où nous mesurons attentivement le potentiel des candidats.
Ce personnel connaît tout au sujet de Porsche?
Oui. Mais nos clients connaissent également très bien la marque ! Nous devons donc passer beaucoup de temps sur la formation. L’un de nos programmes s’appelle « Introduction à Porsche ». Il vise à envoyer tous les nouveaux directeurs de service et les représentants en Allemagne afin de visiter l’usine, le musée, ainsi qu’à faire une balade obligatoire sur l’autobahn!
Vous partagez les coûts de ces voyages avec les concessionnaires?
Oui, c’est un programme dispendieux. C’est une situation où tout le monde gagne.
Nous n’avons pas d’autobahn au Québec. Que conseillez-vous à vos clients pour compenser ce plaisir sans devoir déménager en Allemagne ?
L’autobahn entretient plusieurs mythes. S’il est vrai qu’elle comporte des zones sans limites de vitesse, elle inclut aussi plusieurs zones locales où les limites de vitesse sont basses et doivent être respectées. Le trafic existe… Bref, nous encourageons nos clients québécois à se rendre sur une piste et à participer aux évènements que nous organisons. Même une accélération en ville peut être plaisante! Il est aussi possible de prendre livraison de sa Porsche en Allemagne et ainsi passer quelques jours sur l’autobahn!
Étant donné la spécificité de vos produits, comment dépensez-vous vos budgets publicitaires?
Nous utilisons plusieurs moyens. L’internet est populaire, mais certains de nos clients lisent les journaux et regardent les panneaux publicitaires également.
Devez-vous une partie de votre succès actuel aux baby-boomers qui veulent profiter de la vie avant de partir pour le grand voyage?
Oui, c’est une partie de notre clientèle. Mais nous avons aussi une clientèle jeune, qui est attirée par le Macan, lequel s’apparente à la 911 mais adapté pour la ville avec un peu plus d’espace en prime.
Pensez-vous que les plus jeunes partagent la passion automobile de leurs aînés? Des études démontrent qu’ils accordent plus d’importance à leurs téléphones et à leurs vêtements qu’à l’auto…
Nous avons fait nos propres études sur le sujet. Il est vrai qu’il y a un phénomène et les priorités changent, mais nos recherches démontrent que cette génération a toujours une priorité pour la mobilité individuelle et pour la conduite automobile. Il faut assurément s’adapter et répondre aux besoins de différentes générations. D’autre part, il est important de respecter l’environnement et de faire un produit durable, baisser nos émissions et connecter la voiture davantage en plus de trouver des moyens pour que les gens ne passent pas trop de temps dans le trafic. Les gens veulent voyager et se promener, il faut juste leur donner ce qu’ils veulent.