Que dire au sujet du scandale Volkswagen qui n’a pas été dit ? À vrai dire, plein de choses. Au moment où je pose cette question, il y en a un énorme tas d’autres interrogations qui espèrent une réponse.
Qui a eu la brillante idée de frauder ? Qui était au courant ? Comment réparer les torts causés ? Ce n’est là que la pointe de l’iceberg et chaque nouvelle question en entraîne dix autres. Nous en aurons pour des mois à être mis au courant des révélations et les effets du scandale vont perdurer des années durant, c’est certain.
Laissez-moi plutôt aborder le sujet en vous racontant une scène dont j’ai été témoin.
Je rappelle que le scandale a éclaté le vendredi 18 septembre. Par ailleurs, je participe à des dévoilements de nouveautés automobiles depuis 30 ans. Or, il se trouve que j’avais à mon agenda depuis trois mois une rencontre de prévue à Ottawa pour le jeudi 24 septembre. D’après vous, à l’invitation de quel constructeur ? Hé oui, VW…
L’objet de cet événement médiatique était censé être l’essai de la Jetta dotée du nouveau 4-cyl. de 1,4L turbocompressé qui s’en vient remplacer le 2,0L (celui à essence, je le précise…), de même que l’énergique Golf R. Mais tous ceux qui se sont dirigés comme moi vers la capitale nationale se doutaient bien qu’un autre sujet serait dans l’air quand journalistes et gens de VW Canada se retrouveraient face à face.
Gros malaise à prévoir ? Par quelle pirouette allaient-ils s’en sortir ? J’avoue qu’il y avait longtemps que je m’étais rendu à un événement de presse avec autant de curiosité dans mes bagages.
Finalement, après un petit lunch fébrile, la présentation commence. Nous sommes plus de 20 journalistes automobiles venus des quatre coins du pays. En face de nous, Thomas Tetzlaff, le directeur des relations publiques de VW Canada.
Un mot au sujet de Thomas…
Depuis le temps que j’assiste à ce genre d’évènements médiatiques, j’en ai entendu des PR me vanter leur plus récent produit. Mais jamais ais-je assisté à des présentations plus animées et plus enthousiastes que celles données par Thomas Tetzlaff.
À chaque fois, sa passion pour son métier et pour la marque qu’il représente se mêle à ses talents d’orateur et à sa fougue naturelle pour générer des séminaires où personne ne pique un somme, bien au contraire.
Mais aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres. Que nous réserve Thomas ?
Première image à l’écran : un éléphant.
Mes collègues anglophones se bidonnent pendant que je me gratte la nuque. Quelqu’un vient à ma rescousse en m’expliquant que l’expression « an elephant in the room » (un éléphant dans la pièce) est utilisée par les Anglos pour désigner un problème évident mais dont personne ne veut parler. Pourtant, quand le problème a la taille d’un pachyderme planté au beau milieu d’une salle de réunion, ça devient plutôt difficile de faire semblant d’ignorer ledit problème.
Intelligent préambule de la part de Thomas pour nous dire qu’il n’entend pas éviter le sujet de l’heure. Le 4-cylindres et la Golf R attendront, il importe pour le moment – tant qu’à rester dans la zoologie – de prendre le taureau par les cornes.
Grandir avec VW
Thomas commence par nous raconter que ses parents ont quitté l’Allemagne pour s’établir au Canada en 1956. Deux ans plus tard, son père se trouve un job chez un concessionnaire VW de Toronto, qu’il ne quittera qu’au moment de sa retraite. Autrement dit, son fils baignera dans une ambiance VW dès sa tendre enfance, en plus bien sûr de subir l’influence de certains gènes patriotiques. À telle enseigne, en fait, que ça fera maintenant bientôt 20 ans que Thomas est lui-même à l’emploi de son constructeur préféré. C’est le bonheur.
Jusqu’à l’infâme vendredi…
« Ça été comme un coup de poing dans l’estomac. Je ne peux pas l’exprimer en mots sauf vous dire que je ne me sentais vraiment pas bien », nous confesse un Thomas que l’on sent ému, remué.
En passant, il y a peut-être un éléphant dans la pièce mais, en ce moment, s’il y avait aussi une mouche, on l’entendrait voler. Nous écoutons tous religieusement.
Thomas poursuit : « Je suis le gars des relations publiques de VW Canada. Mon téléphone s’est donc mis à sonner. Beaucoup. Je dis quoi ? Je sais juste une chose, et c’est le mot d’ordre à travers la compagnie : notre priorité doit être nos clients. Cela dit, je me sens quand même mal. Puis je reçois mercredi un courriel. Il m’a sauvé. »
« Je vous écris aujourd’hui afin de remercier votre compagnie pour la vie de ma fille. Olivia a déjà eu deux Beetle. Sa première, à 16 ans, fut un modèle 2000 qu’elle a usé jusqu’à la corde. Quand nous avons magasiné pour la remplacer, nous avons uniquement considéré une autre Coccinelle. Toute notre famille était déjà conquise. Pour elle, le Diesel était tellement économique pour se rendre à l’école et à ses pratiques de nage synchronisée qu’aucun autre véhicule n’était même en lice. Qu’elle était jolie en plus était un bonus.
« Cette année, Olivia a eu un accident. De la gravelle profonde l’a faite déraper et capoter deux fois avant de s’immobiliser dans un champ. Sa voiture était une perte totale mais, malgré ces dommages sérieux, elle n’a pas été blessée, à part le fait d’expérimenter la peur de sa vie. Quand je regarde les photos, je suis encore sidérée de réaliser que j’ai encore ma fille. Je crois de tout mon cœur que c’est seulement grâce à la qualité de construction de sa voiture. Elle l’a si bien protégée.
« Je suis heureuse de dire qu’elle a été en mesure de commencer l’université ce mois-ci. Aujourd’hui, nous partageons un véhicule, ce qui comporte des défis, ça c’est sûr. Dès que nous aurons suffisamment épargné, nous allons lui acheter une autre Beetle d’occasion. Une fois que j’aurai pris soin des études de tous mes enfants, je conduirai un Touareg !
« Merci encore pour la qualité-qui-sauve-des-vies que vous mettez dans vos voitures. Voici une maman reconnaissante. »
À l’écran, nous voyons la transcription d’un courriel dans laquelle, essentiellement, une mère estime que c’est la qualité de construction de la Beetle qui a sauvé la vie de sa fille quand celle-ci a eu un grave accident de la route. Elle a écrit ce mot pour remercier VW.
Thomas a eu de la difficulté à nous lire cette lettre. L’émotion l’étranglait. L’émotion accumulée des derniers jours sans doute et celle aussi causée par le fait qu’il est lui-même un parent. Il parvient néanmoins à en terminer la lecture. Dans la tempête, ces mots sont comme un baume. Ils lui soufflent le courage de nous dire ensuite : « Nous ne serons pas définis par la faute d’un ou plusieurs individus. Nous le serons par notre manière de répondre. Et nous allons le faire correctement !
« Nous travaillons de concert avec les États-Unis. Ce qui va se passer là arrivera chez nous. Pour le moment, vous le savez, nous avons cessé la vente des véhicules incriminés. Tant qu’on ne saura pas ce qui s’est exactement passé et comment le résoudre. Au moins, ce n’est pas une question de sécurité. Nous allons aussi travailler de très près avec nos concessionnaires. Nous allons trouver une solution pour tout le monde, incluant les nouveaux clients qui ont pris livraison d’une VW quelques heures avant l’éclatement du scandale. »
Puis Thomas a ouvert le plancher aux questions. Nous nous sommes instinctivement retenus. De un, si nous avions posé toutes les questions qui nous passaient par la tête, nous serions encore dans cette salle. De deux, comme je l’ai dit au début, nous devinions de toutes façons que plusieurs réponses prendront du temps à émerger. Bref, nous avons en quelque sorte ménagé Thomas.
Cela dit, je l’ai remercié d’avoir adressé la question de front (c’était bien sûr la seule chose décente à faire mais encore fallait-il le faire correctement) et je n’ai pas pu m’empêcher de lui adresser au moins une question : « D’après toi, toi qui a le logo VW tatoué partout, comment est-ce que quelqu’un de votre grande famille a pu croire qu’il fallait se résoudre à la tricherie pour assurer à votre compagnie le premier rang mondial des constructeurs ? »
J’ai vu passé dans les yeux de Thomas une lueur, un feu comme on en voit dans le regard des justiciers d’Hollywood. Il a répondu : « Il y a 44 000 ingénieurs chez VW. Qui a pensé à ça ? Je ne sais pas. Mais j’aimerais connaître son nom… et lui rendre visite… la nuit ! »
Et puis ?
Je ne dis pas que je suis prêt à pardonner à VW parce qu’un gars des relations publiques ne s’est pas défilé. La compagnie va payer, très, très cher, et des gens iront peut-être en prison. Mais il n’y a pas eu mort d’homme. Bon, c’est vrai, les particules fines que dégage le Diesel peuvent drôlement affecter notre santé mais vous comprenez ce que je veux dire : la fraude n’a pas causé de décès directs. Mais elle a affreusement érodé la confiance des consommateurs, une confiance déjà fragile quand on s’arrête sur ce que les gens pensent des « vendeurs de chars ». Notre industrie n’avait pas besoin de cette fourberie.
Mais je veux croire toutefois qu’il reste plus de gens honnêtes que de gens sans scrupules dans cette histoire. Et la sincérité de Thomas m’a conforté dans ma vision résolument optimiste de l’humanité. Tant que la cupidité de certains pourra être régulièrement et constamment mise en échec, il y aura de l’espoir.