Dossier Banque: Le party est fini!

Hausse historique du taux d’intérêt de la Banque du Canada, resserrement des critères de sélection de prêts, augmentation du taux de délinquance… l’univers du financement automobile subit des pressions qu’il n’avait pas vécues depuis belle lurette. Pour plusieurs, le party est fini! 

C’est du moins ce que soulève Daniel Vaillancourt, directeur régional des ventes Québec et Est ontarien à Auto Capital. Depuis cinq ans, cette entreprise canadienne, spécialisée dans le financement, veille également sur la relation financière entre concessionnaires et le département CIBC Auto Finance. 

Selon cet expert, non seulement le crédit automobile n’est plus accordé aussi rapidement qu’il l’a été au cours des quinze dernières années, il n’est plus aussi alléchant pour les consommateurs et aussi payant pour les concessionnaires. « La course aux promotions 0% d’intérêt pour les prêts automobiles, entamée depuis le début des années 2000 afin de relancer l’économie, tire à sa fin », ajoute-t-il au passage.

Une source au sein de l’industrie nous indique que l’époque où les ristournes de prêts aux concessionnaires pouvaient atteindre aisément les 1500 $ à 3000 $ pour un prêt automobile d’une valeur de 30 000$, (dont 25 % allaient directement au directeur du département de F&A) serait, elle aussi, chose du passé. « Aujourd’hui, ces ristournes ont non seulement diminué, elles sont désormais accordées pour des prêts à des taux plus élevés entre 8% et 10 % », avertit notre contact qui a accepté de confier certains détails de l’industrie sous l’anonymat. 

 

Augmentation des taux de délinquance

D’autre part, les experts financiers du secteur automobile avec qui Automedia s’est entretenu pour le contenu de cet article sont unanimes : le taux de délinquance en matière de remboursement des prêts est à la hausse. Des hausses qui varient toutefois d’une institution à l’autre. « On dénote, en effet, une certaine augmentation, mais rien de dramatique », avance le vice-président, Québec, financement automobile RBC, Philippe MacBeth. Même discours chez Desjardins et TD qui surveillent néanmoins la situation.

Le représentant de RBC tient à préciser que son institution a toujours eu une réputation assez conservatrice dans l’industrie du financement automobile. « Ce qui nous permet de garder la tête haute », dit-il. Au cours des deux dernières années, l’équipe de Philippe MacBeth a justement eu de nombreuses discussions avec ses partenaires concessionnaires. « Ils étaient avertis que la situation de prix anormalement élevés pour les véhicules usagés n’était pas normale. Il y aurait éventuellement un retour à l’équilibre, et mieux valait être prêt. La prudence et la prévention sont les meilleurs atouts pour naviguer dans ce type de situation », note-t-il. 

Du côté de Financement Auto TD, son directeur régional du Québec, Luigi Mancini, mentionne que son institution multiplie, quant à elle, les échanges entre les concessionnaires et les économistes de la boîte pour s’assurer que tous détiennent les meilleurs outils. Une stratégie qui paye. Lors du dernier sondage de JD Power en matière de satisfaction à l’égard des institutions financières impliquées dans le financement automobile, TD a justement décroché, pour une sixième année consécutive, le premier rang à l’échelle nationale dans la catégorie des prêteurs spécialisés non exclusifs au crédit du détail. « Mais nous sommes encore plus fiers d’avoir obtenu le 1er rang au Québec dans la catégorie crédit préférentiel. Une première pour notre institution qui a d’ailleurs été parmi les plus rapides à retourner en concession lorsque le gouvernement en a donné le feu vert », soulève le directeur régional.

Conscient de la hausse du taux directeur ayant engendré une hausse des taux offerts aux concessionnaires et aux marchands pour le financement de véhicules depuis 2022, Desjardins dit, elle aussi, avoir redoublé ses services et ses conseils pour mieux guider ses partenaires.  

« Quant aux acheteurs, ils peuvent évaluer les différents scénarios de financement avec un conseiller financier ou encore, utiliser notre Sélecteur de produit de financement pour voir les options qui s’offrent à eux en fonction de leur situation (prêts ou marges hypothécaires, par exemple) », partage par courriel la conseillère en relations publiques, Valérie Lamarre. 

 

La vigilance est de mise

N’empêche que certains joueurs du milieu observent que la hausse du comportement délinquant exige désormais une surveillance accrue. On chuchote dans les coulisses que le taux de délinquance dans le crédit régulier normalement accepté (2 à 3 %) aurait atteint les 5 à 7 % au cours des dernières semaines chez certains prêteurs. Ce qui correspond à une hausse de plus de 100 %.

La vigilance est d’ailleurs de mise dans le secteur du financement de 2e et 3e chance au crédit où ce taux est déjà naturellement plus élevé. Selon une de nos sources, ce dernier pourrait approcher 25 % au cours de la prochaine année. 

« Nos taux de délinquance sont aujourd’hui légèrement supérieurs aux taux que nous avions avant la pandémie en 2019. Des chiffres qui témoignent certainement du contexte économique actuel plus difficile », observe Réal Breton, président et directeur général d’Iceberg Finance. Le financier ne souhaite pas toutefois divulguer davantage d’informations à ce sujet. 

 

Situation houleuse

Présente au Québec, en Ontario, dans les provinces Atlantique ainsi qu’en Alberta et en Colombie-Britannique, l’entreprise québécoise devrait tout de même réaliser des prêts pour plus de 100 millions de dollars en 2023.

« Certes, on s’attend à une situation houleuse au cours des 12 à 15 prochains mois. Et plus particulièrement lors des moments critiques de l’année où le crédit est mis à rude épreuve, soit le retour des vacances, le retour à l’école et le retour des Fêtes », soutient le financier. 

Manque d’inventaires, manque de pièces, les ventes de véhicules usagés à des sommets inégalés…tous ces facteurs ont eu des conséquences pour de nombreux consommateurs qui pourraient prochainement se retrouver en défaut de paiement pour un véhicule dont la valeur est maintenant bien en deçà de ce qu’ils ont payé, craint Réal Breton.

« Dans une telle situation, des centaines de milliers de personnes qui bénéficiaient jusqu’à maintenant du crédit régulier devront sans doute connaître un passage obligé vers le crédit de 2e et 3e chance », prévient le dirigeant d’Iceberg Finance. Le financier tient d’ailleurs à rappeler qu’avant même les hausses d’intérêt historiques de l’année 2022, déjà plus du quart de la population active ne se qualifiait pas pour un prêt automobile régulier.

 

Des algorithmes en mutation

Il fut un temps où le dossier Equifax du consommateur faisait l’affaire des institutions financières. Depuis un an, ces dernières posent davantage de questions avant de donner leur feu vert. « Le ratio du taux d’endettement est davantage surveillé, tout comme l’âge du véhicule pour les transactions de véhicules usagés », partage Réal Breton.

Même la rue, le quartier et la ville où habite l’acheteur seraient considérés parmi les nouveaux algorithmes qui s’invitent sur le plancher de danse du financement, nous soulève notre source anonyme. 

Les algorithmes utilisés pour le financement automobile ont, effectivement, été ajustés en fonction des nouvelles réalités, convient Philippe MacBeth. Ce dernier demeure néanmoins motus et bouche cousue concernant les détails.

 

Des équipes très occupées

Malgré les nuages gris qui se pointent à l’horizon, le vice-président Québec de Financement automobile RBC souligne que les parts de marché de son équipe ont augmenté de près de 50 % au cours des 12 derniers mois. Composée d’une quinzaine de personnes, l’équipe de RBC ne chôme pas. Situation similaire chez TD Finance Auto qui poursuit sa croissance au sein du marché québécois. Une situation notamment attribuée à la mise sur pause de BMO au cours des six derniers mois. « En raison de son acquisition de la Bank of the west, l’institution a carrément fermé les valves », indique nos sources.

Le vice-président et directeur de marché régional du Financement automobile Québec pour la BMO, Sylvain Raymond refuse d’entrer dans ce jeu de commentaires issus de ses compétiteurs. « Même si nous étions moins compétitifs avec nos offres de financement automobiles aux particuliers, nous sommes demeurés très présents auprès des concessionnaires en matière de financement commercial pour les soutenir avec leurs acquisitions, leurs opérations et leur gestion quotidienne. Le volet commercial représente plus de 50 % de nos activités en financement automobile », affirme le dirigeant. 

La BMO est d’ailleurs demeurée très active et compétitive auprès des manufacturiers Kia et Tesla avec lesquels l’institution entretient un partenariat de financement subventionné pour les particuliers. Qu’à cela ne tienne, Sylvain Raymond se veut rassurant. Son équipe reviendra en force sur le marché du financement automobile aux particuliers dans un avenir rapproché.

 

Prêts pour des voitures neuves

Un retour qui sera bienvenu dans un marché où les institutions financières sont de plus en plus sollicitées pour les prêts de véhicules neufs. Depuis une quinzaine d’années, il était difficile pour les banques de rivaliser avec les offres des captives manufacturières. « Depuis les hausses consécutives du taux d’intérêt de la Banque du Canada en 2022, il arrive régulièrement que le taux suggéré par les banques traditionnelles soit aussi intéressant (et même plus) que le taux subventionné par les captives », note Luigi Mancini de Financement Auto TD.

 

Et si le risque était partagé ?

Enfin, certains acteurs soutiennent que les concessionnaires devront davantage être conscients du risque que prennent les institutions financières. Au cours des prochains mois et sans doute des prochaines années, est-ce que les concessionnaires pourraient partager les risques d’un financement en reprenant le véhicule après 30, 60 peut-être même 90 jours lorsqu’un consommateur se trouve en défaut de paiement? se questionne une de nos sources.

Reste à voir si cette avenue plaira aux concessionnaires. 

 

Note

Banque Nationale et Scotia ont décliné nos demandes d’entrevues.

 

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