Bowmanville, Ontario, par un beau dimanche de juillet. Pour la première fois de sa courte histoire (deux saisons, c’est tout jeune !), la Coupe Nissan Micra tient une manche au circuit ontarien Canadian Tire Motosport. Sur l’herbe qui surplombe le virage numéro 2, peut-être l’un des plus dangereux d’Amérique, avec sa courbe descendante en aveugle et sa cambrure à rebrousse-poil, se trouve une petite centaine d’amateurs, en attente des sous-compactes japonaises.
Plus tôt, l’endroit était noir de monde: on était venu admirer les GT et les puissants prototypes inscrits au Championnat SportsCar. Sauf qu’une fois ces épreuves-vedettes conclues, non seulement le parterre s’est vidé, mais la moitié des spectateurs qui y sont encore sont reliés de quelque façon à Nissan – qui portant un t-shirt, qui une casquette de la Coupe Micra.
Autrement dit, la course se joue devant des fidèles déjà conquis.
Quand même, nous trouvons quelques spectateurs sans lien d’affaires avec le constructeur qui acceptent de commenter la compétition: «Intéressant», disent les uns. «Cute», disent les autres. «Ça donne envie d’aller en piste» ou «C’est cool lorsqu’elles flippent!»
Et nous de poser la question qui tue: « Demain, lundi, achèteriez-vous une Nissan Micra? »
La réponse fuse, invariable: « Non! ». « Non, non ! ». Et encore « Non ! ».
Vrai que nous sommes à un jet de pierre de l’usine GM d’Oshawa, dans une contrée où les préférences vont définitivement aux produits domestiques – les camionnettes d’abord, les fourgonnettes ensuite. Reste qu’à part d’un répondant qui «pourrait se laisser tenter par la Nissan 370Z ou la Nissan GT-R,» personne n’a levé la main pour la Micra: trop petite, trop peu puissante, trop «tiny can» (petite boîte de conserve).
La meute amoureuse de courses motorisées aime les voir s’exécuter en piste, comme des autos tamponneuses, mais elle n’en veut pas dans son entrée de garage.
Ah, cette série Honda/Michelin…
Les séries monotypes du genre Coupe Nissan Micra mettant en vedette des voitures «stock», c’est-à-dire non modifiées, sont si populaires en Europe «qu’à peu près chaque modèle a sa série,» dit Didier Schraenen, ce pilote originaire de la Belgique et animateur très connu au réseau québécois des sports (RDS).
Au Canada, toutefois, pareils challenges se font rares et ils n’ont pas su – ou n’ont pas voulu durer. Exception faite de la série Honda/Michelin.
Ah, cette série Honda/Michelin… Tous ceux interviewés pour les besoins de ce reportage nous ont répondu en poussant de grands soupirs nostalgiques. Car ce qui a commencé au milieu des années 1970 comme Le Volant Québécois s’est rapidement transformé en une série culte qui allait tenir l’affiche pendant deux décennies, à travers le Canada de surcroît
Au bout du pied droit des grands noms qui s’y sont forgés une réputation (pensez aux frères Boyer de Lombardi Racing, aux pilotes Wittmer de père en fils, aux Richard Spénard et Bertrand Fabi, ainsi qu’à deux certains Villeneuve, Jacques et Gilles), il y avait cette Honda Civic à hayon – hatchback, en bon français.
Si elle est aujourd’hui une incontournable, il y a 40 ans, la compacte était presque inconnue dans un marché alors monopolisé à 50% par GM. «Il s’agissait donc pour Honda Canada de donner un boost à une voiture de base, sans option aucune, relate Nadia Mereb, alors porte-parole pour le constructeur au Québec et maintenant à la retraite. La série a constitué une excellente publicité qui a fait connaître la Civic, mais aussi l’amusement à la conduire, de même que son endurance et sa fiabilité.»
Jusqu’en 1992, la Honda Civic a été en vedette dans des évènements aussi prestigieux que le Grand Prix de Trois-Rivières, l’Indy de Montréal, les rendez-vous à Mosport… et, évidemment, le Grand Prix de Montréal. Même qu’aux dires du pilote Didier Schraenen, la série serait à l’origine du succès de la compacte en sol canadien – la Civic étant la voiture la plus vendue au pays pour une 18e année consécutive. «Quand même, réplique amicalement Pierre Langevin, directeur général pour la Zone du Québec, donnez un peu de crédit à Honda qui fabrique une voiture fiable et à nos concessionnaires qui la vendent!»
Entre le coup d’épée dans l’eau…
Maintenant, qui se souvient de la Coupe Volkswagen New Beetle 2000, dont la seule et unique épreuve a justement été présentée en l’an 2000 au circuit Gilles-Villeneuve, lors du Grand Prix de F1 du Canada?
Allez, un p’tit effort, rappelez-vous: officiellement, l’évènement servait de levée de fonds pour des associations caritatives, mais officieusement, Volkswagen cherchait à «masculiniser» sa Choupette en la laissant flirter de toute la puissance de ses 204 chevaux avec ce qu’on appelait déjà le Mur du Québec. Exceptionnellement, c’était un V6 de 2,8L qui prenait place sous le capot. De grands noms, tels Jacques Laffite et René Arnoux qui cumulent une douzaine de victoires en F1, avaient pris le volant devant une foule de près de 200 000 spectateurs.
Personne ne se rappelle? Si: Volkswagen Canada se souvient. Car pareil déploiement publicitaire lui avait coûté un bras et une jambe…
… et le constructeur qui s’en fout
Mais alors, est-ce que quelqu’un se rappelle de la Coupe Toyota Echo Pirelli? Vous devriez puisqu’elle a tenu l’affiche plus récemment – et plus longtemps, soit de 2004 à 2008.
Exclusivement québécoise, elle a été mise sur pied par trois partenaires, dont le pilote Carl Nadeau (Équipé pour Rouler à Z-Télé). À l’époque, le trio de passionnés de courses visait la compétition à armes égales la plus abordable possible. «C’était pour moi un rêve de ti-cul,» nous a confié Carl. La solution clé en main offrait, pour 20 000$ taxes in, le modèle RS de la plus petite Toyota. Non seulement la voiture était nantie pour la piste, mais «à ce prix-là, précise Carl Nadeau, la combinaison et même les bottines étaient comprises. Ne restait plus qu’à mettre de l’essence!».
Au total, 42 manches réparties sur cinq saisons ont réuni des pilotes de tous les horizons qui, comme Denis Archambault, p.-d. g. d’Alix Toyota, s’agglutinaient sur la ligne de départ, avides d’âprement disputer le drapeau à damier au volant de leur sous-compacte de… 108 chevaux. Vous riez? Sachez qu’encore aujourd’hui, lorsque l’une de ces «Toyota Echo Cup» pointe le bout de sa calandre dans les cyber-annonces ou à un département de voitures d’occasion, «elle s’envole presque immédiatement, dit M. Archambault. Je dois d’ailleurs tout faire pour me retenir de l’acheter moi-même. C’est qu’elles sont increvables, ces voitures: mes fils en pilotent encore une à tous les weekends, même avec ses 350 000 kilomètres au compteur.»
Bref, direz-vous, voilà la vitrine publicitaire idéale? Certes, la série a été soutenue, entre autres commanditaires, par l’Association des concessionnaires Toyota du Québec. Mais elle a dû faire sans l’apport de Toyota Canada, de qui elle n’a jamais reçu d’aide financière ou même promotionnelle. Pourtant, la moitié des ventes de la petite voiture étaient signées dans la Belle Province…
Petit gabarit, gros fun !
D’aucuns trouveront étonnant que la Coupe Toyota Echo ait tenu cinq étés sans l’appui de celui qui aurait dû être son principal bayeur de fonds – et ils auront raison. Tout au contraire, l’actuelle Coupe Nissan Micra est non seulement soutenue par Nissan Canada, elle est carrément l’oeuvre de la division canadienne du constructeur. «Je n’ai jamais vu pareille offensive d’argent et de publicité,» dit Carl Nadeau.
L’idée a d’abord germé dans la tête d’un passionné de course, le journaliste et collègue Jacques Deshaies, aujourd’hui directeur logistique de la série. Mais l’aventure a réellement décollé quand le porte-parole de Nissan Canada, Didier Marsaud, a estimé que «la mayonnaise allait prendre». Ce Français, qui a quitté l’Hexagone pour Toronto il y a cinq ans, est un habitué des séries monotypes européennes. Il a «tout de suite vu ce qu’on pouvait tirer d’une telle organisation pour une voiture à prix si petit qu’il est difficile d’en dégager une marge publicitaire.»
À la première saison d’épreuves (2015), exclusivement tenues au Québec, là où l’on vend une Nissan Micra canadienne sur deux, ce fut la tempête parfaite pour…:
– la sous-compacte tout juste débarquée chez les concessionnaires avec le plus bas prix du marché (sous les 10 000$), mais encore peu connue de la clientèle;
– des pilotes émérites tels Richard Spénard et Carl Nadeau, mais aussi ces dames Valérie (Limoges et Chiasson), des célébrités comme l’animateur Benoît Gagnon et de jeunes prodiges tels Olivier Bédard et Xavier Coupal, qui ont joué des coudes et des pneumatiques;
– surtout, lors d’une manche présentée en guise d’amuse-gueule au Grand Prix de Montréal, les petites Micra ont donné deux, non, 10 fois plus d’action que les voitures de F1 !
Ajoutez un site Internet dédié et mis à jour avec tout le poids corporatif de l’entreprise; une utilisation extensive (abusive, diront certains…) des réseaux sociaux; l’embauche de caméramans pour immortaliser le tout dans une envolée de folles vidéos et de spots publicitaires; des reportages publiés dans les grands et petits médias ; au moins un journaliste automobile inscrit à chaque départ en tant qu’invité…
… et vous avez là effectivement la recette d’une mayonnaise qui a démarré sur les chapeaux de roues. «Nissan fait une job fabuleuse pour le sport et l’automobile, dit le pilote Didier Schraenen. Elle a réussi à impliquer ses concessionnaires, qui ont su voir là une excellente carte de visite. Je lève mon chapeau à ce coup fumant de marketing.»
«Je savais que le succès allait être au rendez-vous, mais je ne l’attendais pas si vite, dit M. Marsaud. Tout ça pour un budget annuel voté par Nissan Canada qui est moindre que celui d’une pub télé ! De fait, la couverture médiatique paie à elle seule tous nos investissements – dans un ratio de retombées de 1 pour 15 et même pour 20. Et vous savez quoi? Nissan ne peut pas perdre: qu’importe le pilote qui l’emporte, ce sont toujours trois Nissan qui montent sur le podium.»
Qu’on ne s’étonne pas alors si d’autres divisions internationales de Nissan envient et même envisagent d’émuler l’expérience canadienne. «Le Mexique, où est d’ailleurs fabriquée la voiture, regarde avec intérêt ce que nous faisons, conclut Didier Marsaud. Même les États-Unis en discutent entre dans les branches, alors que la Nissan Micra n’y est même pas vendue…»