Rory Beattie, convaincu et convaincant

Pendant que les véhicules Land Rover se vendent bien, la marque Jaguar joue le tout pour le tout. AutoMédia s’est entretenu avec Rory Beattie, un Sud-Africain de 46 ans, papa de deux jeunes enfants et le nouveau président canadien d’une marque en pleine reconstruction.
Est-ce que la haute direction de Jaguar a hésité avant d’enclencher sa renaissance ?
Il serait naïf de ma part de spéculer sur leur processus de réflexion. Mais nous ne pouvions pas soutenir notre modèle d’entreprise avec les produits que nous avions. Je crois que la période Covid a été une occasion unique de repenser de nombreux aspects de notre industrie. Nous devions faire quelque chose de différent et c’est ce que nous faisons. En 90 ans d’histoire, nous avons toujours été ambitieux, nous avons accompli des choses incroyables et, aujourd’hui, nous faisons preuve d’exubérance et d’une audace folle. Une décision qui portera ses fruits et sera extrêmement payante.
On dit que Jaguar jouera sur le terrain de Rolls-Royce et Bentley. Pouvez-vous nous parler de cette nouvelle gamme de prix ?
Nous allons écouler des volumes nettement inférieurs à ceux que nous vendions avec Ford (propriétaire de Jaguar de 1999 à 2008). D’un point de vue général, nous doublerons le prix moyen de la transaction. Cela dit, les prix seront confirmés à mesure que nous avancerons dans le cycle de production.
Au début du siècle, Ian Callum a modernisé la marque avec des voitures comme la XF et la F-Type. Elles ont d’abord été bien accueillies, puis moins bien. Pourquoi ?
Les produits que nous avons demandés à Ian ont permis à Jaguar de renouer avec l’esprit de la course que nous avons dans le sang. Mais la réalité a changé et nous n’avions pas de plan assez large et significatif pour le faire perdurer. Je pense que la clientèle souhaitait une orientation différente de celle que nous proposions. Cela dit, je n’ai aucun doute que nous pouvons nous réinventer. Nous l’avons fait avec le Defender. Il était absent de l’Amérique du Nord après 1996, nous l’avons ramené en 2023 et, depuis, c’est un succès retentissant. Son prix a doublé et les ventes ont triplé. Or, il s’agit de la même équipe derrière la renaissance de Jaguar. Les mêmes ingénieurs, les mêmes esprits créatifs.
C’est vrai que Land Rover a connu en Amérique du Nord une hausse des ventes de 45 % l’an dernier. Est-ce ce nouveau trésor de guerre qui financera la relance de Jaguar, au moins en partie ?
Il faut bien comprendre que nous avons ici deux entités complètement indépendantes. Nous avons donné à Jaguar et à Land Rover leur espace de manœuvre respectif. C’est sûr que l’organisation a un regard global sur les performances financières, mais chaque marque doit agir de manière indépendante. C’est la stratégie pour Jaguar, pour Defender, pour Discovery et pour Range Rover. Chaque marque doit se développer elle-même. Avons-nous un coffre à outils commun ? Bien sûr. Mais chaque marque sera profitable indépendamment tout en livrant aux clients une expérience distinctive.
Poussez-vous l’indépendance jusqu’à confier chaque marque à une agence de publicité différente ?
À l’heure actuelle, nous avons des agences communes. Leur approche dépend de la manière dont nous définissons la stratégie de chaque marque. Par ailleurs, l’agence qui s’occupe de la majeure partie de la création de nos images et de nos vidéos dispose d’un étage composé de quatre salles distinctes, une pour Jaguar, une pour Range Rover, une pour Defender et une pour Discovery. Ainsi, chaque équipe travaillant dans ces salles est immergée dans les différentes marques.
Cette disposition physique se reflétera-t-elle dans vos concessions : un seul toit mais quatre salles ?
Pas vraiment. L’extérieur du bâtiment représente JLR et l’intérieur accueille chaque marque. Il y aura peut-être des sections de la concession qui montreront des choses différentes.
J’étais présent au lancement international de l’I-Pace, le tout premier VÉ de Jaguar. Mes collègues et moi avions été impressionnés. Mais il n’y a pas eu de suite, pas de deuxième VÉ chez Jaguar. Pourquoi vous arrêter après un aussi bon départ ?
En 2021, Jaguar a annoncé qu’elle deviendrait une marque 100 % électrique. L’I-Pace était une occasion pour nous familiariser avec cette technologie et les attentes des consommateurs.
Est-ce que les problèmes subséquents qu’a connus le véhicule à cause des batteries LG (certaines ont pris feu) ont aussi fait partie de la courbe d’apprentissage ?
Ils n’avaient pas été anticipés, mais ça ne change pas notre stratégie de base. Est-ce que ça t’amènera à regarder les choses différemment quand tu produiras tes futurs produits ? Bien sûr que oui. Nous apprenons toujours de nos expériences.
Nous avons tous vu le prototype Type 00. En soi, il est éloquent. En vos mots, à quoi ressemblera la nouvelle marque Jaguar ?
Je souhaite que les gens regardent la Type 00, puis le véhicule de production, et qu’ils le mettent sur leur « bucket list ». Nous voulons qu’ils le convoitent. Pas seulement parce qu’il s’agit d’un VÉ, mais parce qu’il résonne avec quelque chose de spécial en vous. Notre espoir est de créer quelque chose de si puissant, de si unique que ça transcendera n’importe quelle autre expérience automobile. Quelque chose que les clients n’auront jamais encore expérimenté chez un autre constructeur.
Que dites-vous présentement à vos concessionnaires Jaguar de la Belle Province ?
Je ne peux pas assez souligner à quel point nous avons une importante relation symbiotique avec notre réseau de concessionnaires. Nous avons maintenu un dialogue ouvert avec eux pour expliquer comment nous allons gérer la transition. Mais, ultimement, ce qui compte, c’est comment nous allons établir les nouvelles fondations de Jaguar. Je crois que nos concessionnaires le comprennent bien et qu’ils sont prêts à embarquer dans l’aventure qui les attend. Je crois que tant qu’ils comprendront la vision, nous pourrons accomplir n’importe quoi.
En attendant, la profitabilité Jaguar en prend pour son rhume. Êtes-vous prêt à les compenser financièrement ?
Non.
Vous êtes un spécialiste de l’expérience client. Il va sans dire que celle de Jaguar devra innover. Comment ?
D’abord, il importe de rassurer la clientèle sur la fiabilité de nos produits et, à ce sujet, les sondages démontrent que nous avons fait des progrès remarquables. Par ailleurs, j’ai amené avec moi au Canada une initiative que j’ai commencée en Afrique du Sud : chaque semaine, je me fais un plaisir d’appeler personnellement un nouveau client pour connaître son degré de satisfaction. Partager