Prenez note : À la fin de votre lecture, les propos énoncés pourraient déjà ne plus être véridiques en raison de l’humeur changeante de Donald Trump. 

L’Amérique du Nord vit actuellement une importante crise tarifaire. Que dis-je ! Le monde entier, plutôt. Depuis le mois de mars dernier, l’acier et l’aluminium provenant du Canada sont taxés à 25 % lorsqu’ils traversent la frontière. En guise de réplique, le gouvernement canadien impose depuis le 9 avril une taxe allant jusqu’à 25 % sur les automobiles de construction américaine destinées au marché canadien. Pendant ce temps, Donald Trump joue au yoyo avec le commerce international. 

Alors qu’un nuage gris couvre actuellement l’industrie automobile, AutoMédia s’est entretenu avec deux experts de l’économie : Pierre-Yves McSween, FCPA auditeur (chroniqueur économique sur Ici Première), et Yves Langevin (professeur et coordonnateur du département d’administration et d’économie du Collège de Bois-de-Boulogne et anciennement maître d’enseignement à HEC Montréal). On a également sondé Denis Leclerc (président d’ALBI le Géant) ainsi que Guillaume Girard (directeur général de Girard Automobile, une concession Chrysler, Jeep, Dodge, Ram et Fiat). 

 

Des menaces fortes qui engendrent l’incertitude

Calme et sage lorsque vient le temps d’analyser la personnalité de Donald Trump, Yves Langevin remet en question la réelle mise en exécution des droits de douane qui pénaliseraient le Canada. Il croit que le président américain applique en politique une méthode qui lui a été profitable en affaires : menacer plutôt que négocier. Et lorsque la menace s’installe, l’incertitude prend toute la place. « Les concessionnaires devraient être inquiets en raison de l’incertitude et de l’instabilité. Lorsque l’environnement est instable, le consommateur réagit en n’achetant pas de voiture. L’incertitude fait clairement plus mal que les tarifs, puisque les tarifs ne sont pas encore débarqués », commente-t-il.

Yves Langevin, professeur et coordonnateur du département d’administration et d’économie du Collège de Bois-de-Boulogne

 

Parallèlement, on ne peut écarter la santé économique des consommateurs. Durement éprouvés par les fluctuations boursières des dernières semaines, certains n’entrevoient déjà plus le changement de leur véhicule comme étant une priorité. Et c’est sans parler de la hausse du prix des véhicules neufs et du coût de la vie de manière générale. « La clientèle plus sensible au risque remettra à plus tard son achat », estime Denis Leclerc. L’ambiance est la même pour l’entreprise de M. Girard, qui affirme que « l’incertitude se fait sentir auprès de la clientèle ». 

Denis Leclerc, président d’ALBI le Géant

 

Advenant l’application des droits de douane et qu’elle s’étire dans le temps, Pierre-Yves McSween pense que « le consommateur pourrait garder son véhicule plus longtemps ou opter pour un qui sera moins cher ou d’occasion ». On pourrait donc observer une pression sur le marché des véhicules de seconde main et des véhicules neufs abordables en raison du contexte économique difficile. 

 

Le son de cloche des concessionnaires 

En cette période d’incertitude, les dirigeants des concessions n’adoptent pas tous la même attitude. M. Leclerc, qui se trouve à la tête d’un important groupe de concessions sur la couronne nord de Montréal, donne en exemple le constructeur Mazda. « Avec Mazda, on va mieux s’en tirer, car la Mazda3 et tous les CX-5, CX-30, CX-70 et CX-90 sont bâtis au Mexique ou au Japon. Un seul modèle est assemblé aux États-Unis (le CX-50), mais ça n’empêchera pas la rentabilité d’un concessionnaire au Canada », partage-t-il. D’ailleurs, Mazda Canada a annoncé qu’elle suspendra la production de CX-50 destinés au marché canadien à compter du mois de mai. 

Denis Leclerc ajoute : « Il est beaucoup plus rassurant d’être à la tête d’un groupe que d’avoir une seule bannière. Nos œufs ne sont pas tous dans le même panier. Le risque est réparti et ça nous donne le temps de nous ajuster. » 

De son côté, Guillaume Girard fait valoir que « chez Stellantis, 30 000 véhicules livrables au Canada ne seraient pas touchés par des mesures tarifaires ». Cela dit, certains concessionnaires ont démarré une campagne publicitaire faisant la promotion de prix qui pourraient être alléchants avant l’imposition de droits de douane. M. Girard fait preuve de réserve devant ce mouvement. « Si on liquide nos stocks pour mousser les ventes, on se retrouvera rapidement avec des véhicules dont le prix pourrait être majoré en raison des mesures tarifaires », précise-t-il. Pour Yves Langevin, le résultat est sans équivoque. Il serait faux de croire qu’une partie des tarifs serait transférée aux consommateurs. « Si un tarif est imposé à une entreprise, ce qui aurait pour effet d’augmenter ses coûts de production, cette dernière ne pourra pas continuer à vendre en conservant le même prix, puisque ses profits seront diminués. Elle sera obligée de vendre plus cher », explique-t-il.

Guillaume Girard, directeur général chez Girard Automobile

 

Selon Pierre-Yves McSween, « des entreprises pourraient aussi parier sur le fait que tout se réglera rapidement et que les stocks actuels pourront répondre à la demande des mois à venir ». Ces entreprises pourraient décider de retarder l’importation de biens en provenance des États-Unis en misant sur la possibilité que l’imposition de droits de douane soit de courte durée.

Pierre-Yves McSween, FCPA auditeur (chroniqueur économique sur Ici Première). crédit photo : Maude Chauvin

 

Vers une industrie automobile canadienne plus forte… ou plus faible ? 

Les paris sont ouverts. Une crise tarifaire affaiblira-t-elle l’industrie automobile ou la rendra-t-elle plus forte ? Pour l’heure, rien n’est moins sûr. Alors que Stellantis a mis sur pause la production de l’usine de Windsor pour deux semaines et que les activités tardent à reprendre à Brampton, l’usine d’Oakville a mis fin à la construction des Ford Edge au printemps 2024, et on ne voit pas la suite des choses. Quant à l’usine d’assemblage de General Motors à Ingersoll, elle a suspendu pour quelques mois la fabrication de fourgons électriques BrightDrop. La crise tarifaire en est encore à ses débuts, mais elle frappe déjà durement l’industrie automobile canadienne qui se concentre en Ontario. 

Dans le contexte actuel, les consommateurs canadiens pourraient être plus enclins à considérer l’achat d’un véhicule produit au Canada. Pour Denis Leclerc, « c’est une question de temps avant que General Motors s’ajuste et vende les camions canadiens au Canada ». Pour ce faire, une réorganisation partielle de la production est nécessaire. 

Pierre-Yves McSween évoque quant à lui la possibilité que les consommateurs se tournent vers des véhicules de construction canadienne, véhicules qui ne feraient pas partie de leur éventail de choix en temps normal, « mais qui seraient choisis pour des raisons économiques ». Cependant, il ne faut pas négliger le fait qu’une majorité de véhicules assemblés au Canada est exportée aux États-Unis. Inutile de préciser que le taux de change rend l’exercice profitable. 

Alors que Donald Trump menace d’imposer d’importants droits de douane au Canada, l’instabilité économique s’installe de ce côté-ci de la frontière et les répercussions dans le secteur automobile sont nombreuses. Il ne reste qu’à espérer qu’un iceberg ne se cache pas sous la pointe qu’on a frappée.

 

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