Économie 101: La pandémie coûte cher. Qui paiera ?

Depuis le début de la pandémie, le gouvernement Trudeau a fait pleuvoir des subventions à coups de plusieurs milliards de dollars, et ce n’est pas fini. Ces dépenses non prévues suscitent des questions. Les partis d’opposition, à défaut d’obtenir un budget, réclament au moins une mise à jour économique. D’où sort tout cet argent et qui devra le rembourser? Luc Godbout et Yves St-Maurice, de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, partagent avec nous quelques réponses.

 

 Question 1 : Qui se retrouvera à payer la dette fédérale ?

Réponse : Dans les faits, tout le monde pourrait être mis à contribution pour rembourser cette dette, la génération actuelle comme la génération future. Tout dépendra de la politique adoptée par le gouvernement.

 

Question 2 : Est-ce que Ottawa pourrait s’attaquer à la dette en comprimant ses dépenses dans divers programmes et donc en transférant moins d’argent aux provinces ?

Réponse : La dette fédérale est rarement remboursée. On regarde plutôt son poids relatif avec la richesse collective ou la production annuelle du pays (ex. le PIB). Une fois la crise passée, le gouvernement pourrait :

  1. Augmenter les impôts ou les taxes pour minimalement payer annuellement les intérêts sur la dette associées à cette nouvelle dette ;
  2. Diminuer certaines dépenses pour mieux équilibrer son budget.

 

 

Question 3 : Quelle est la différence entre la dette (qui pourrait atteindre un billion) et le déficit (qui pourrait dépasser les 260 milliards $) ?

Réponse : La dette est la somme des déficits passés à laquelle on doit ajouter les emprunts pour réaliser les investissements en infrastructures alors que le déficit est seulement l’écart entre les revenus et les dépenses pour une année donnée.  Le 30 avril 2020, le directeur parlementaire du budget a estimé le déficit fédéral pour l’année 2020-2021 à 252 milliards $.

 

Question 4 : À qui le Canada doit-il ce billion ?

Réponse : Le gouvernement émet des obligations, des Bons du Trésor (titre à plus court terme) sur les marchés intérieurs et se financent aussi sur les marchés extérieurs ou étrangers. Donc, ce sont des gestionnaires de portefeuille, des courtiers, des fonds de placement, des particuliers, des banques, etc. Tout le monde peut en posséder. Sommairement, la dette du gouvernement se compose à 75 % d’obligations sur les marchés intérieurs, 20 % en Bons du Trésor, et environ 5 % sur les marchés extérieurs. 

Note : voir le Budget 2019-2020 du gouvernement du Canada à la page 391 – https://www.budget.gc.ca/2019/docs/plan/budget-2019-fr.pdf 

 

Question 5 : Est-ce que tous les pays ont des dettes ?

Réponse : Oui. En fait, les dettes ne sont pas nécessairement malsaines ! Si le gouvernement veut construire une route qui générera des bénéfices pendant plusieurs années, le gouvernement a de bonnes raisons d’emprunter et de payer la route sur plusieurs années. 

Le pays peut donc profiter des avantages d’avoir une route dès aujourd’hui sans être obligé de la payer complétement aujourd’hui. Encore une fois, c’est comme un ménage qui emprunte pour acheter une maison ou une auto qui lui procurera des avantages pendant plusieurs années.  

 

Question 6 : Quel est le pays le moins endetté ?

Réponse : L’Estonie si on regarde la dette brute et la Norvège si on considère la dette nette (qui tient compte des actifs du pays).

Note : https://cffp.recherche.usherbrooke.ca/wp-content/uploads/2019/06/cr_2019-07_panorama_2019.pdf Voir pages 55 et 57

 

Question 7 : Est-ce que le régime d’austérité du gouvernement Couillard a, sans le savoir, mieux préparé le Québec que les autres provinces à la pandémie ?

Réponse : C’est plutôt la Loi sur l’équilibre budgétaire (1996, 2001) et la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations (2006) qui ont aidé le Québec à améliorer son ratio d’endettement.

 

Question 8 : Pourquoi ne pas tout simplement imprimer des dollars autant qu’il en faut ?

 

Réponse : Parce qu’il y a un risque de créer de l’inflation. La trop grande quantité de monnaie pourrait créer une demande qui sera supérieure à l’offre ce qui entraînera une hausse des prix pour rétablir un équilibre entre l’offre et la demande 

 

Question 9 : Qui décide d’imprimer ou pas des billets?

Réponse : C’est la Banque du Canada qui a la responsabilité d’imprimer des billets. C’est elle qui a le rôle de contrôler la masse monétaire. Elle crée la monnaie nécessaire pour accommoder le bon fonctionnement de l’économie.

 

Question 10 : Est qu’une Banque centrale peut quand même imprimer juste assez de dollars pour diminuer sa dette sans risquer de créer de l’inflation ?

Réponse : La Banque du Canada et le gouvernement sont des entités totalement indépendantes. Donc le gouvernement gère sa propre dette. Les actions de la Banque du Canada ne dépendent pas de la dette du gouvernement. La hausse de la masse monétaire est faite en fonction d’accommoder la croissance de l’économie et non en fonction de la dette du gouvernement.

 

Question 11 : Croyez-vous que l’initiative de la prestation canadienne d’urgence (PCU) devrait être le catalyseur pour amener Ottawa à créer un revenu minimum de base garanti pour tous les Canadiens ?

Réponse : Non, rien ne l’indique. Ce sera par contre l’occasion de voir ou revoir les effets des prestations gouvernementales sur l’incitation au travail des bénéficiaires en tenant compte de la manière dont ce genre de prestations évolue en fonction du revenu.

 

Question 12 : Le 10 juin notre dollar valait environ 74 cents américains et des économistes prédisent qu’il chûtera à 60 cents d’ici la fin de 2020. Êtes-vous aussi pessimistes ?

Réponse : D’abord, c’est loin d’être tous les économistes qui pensent que le dollar tombera à 60 cents et il faudrait voir quelles sont les hypothèses sous-jacentes au raisonnement qui permet de faire une telle affirmation. 

La valeur du dollar est toujours très difficile à prévoir car elle dépend de nombreux facteurs dont l’offre et la demande du dollar canadien, le prix du pétrole, la confiance dans l’économie, etc. Il faut comprendre que presque toutes les banques centrales au monde s’assurent actuellement que les liquidités sont suffisantes dans leur économie. C’est souvent une action concertée partout dans le monde ! Par conséquent, la valeur du dollar canadien évolue aussi en fonction de ce qui se passe ailleurs dans le monde. Tout le monde injecte beaucoup d’argent dans le système (argent qui sera graduellement retiré par la suite). Par conséquent, notre position relative change peu par rapport aux autres importantes devises. De plus, le Canada est un pays fiable et stable. Il n’a pas perdu cette réputation avec la pandémie. Le seul élément fortement négatif envers le dollar actuellement est la faiblesse des prix du pétrole et il semble que cela a eu peu d’effets jusqu’ici sur le dollar. Les probabilités que le dollar tombe à 60 cents sont plutôt faibles en fonction des informations disponibles aujourd’hui.

 

Question 13 : En ce moment, au sein du G7, le Canada est le seul pays avec l’Allemagne à jouir d’une « note de crédit » AAA. Mais puisque des économistes pensent que le poids de notre dette pourrait désormais avoisiner 350% de notre PIB, les agences de notation pourraient abaisser la note de crédit du Canada (une décote).

Réponse : Ce taux d’endettement apparaît exagéré. Le poids de la dette au Canada était à peine supérieur à 100 % selon les données de l’OCDE sur la dette avant la pandémie. Quant à la décote, il n’y a aucun signal des agences de notations en ce sens. Bien sûr rien n’est impossible. Mais s’il devait y avoir une révision, le plus probable serait le maintien de la note de crédit à AAA avec une perspective négative… 

 

Yves St-Maurice
Yves St-Maurice
Luc Godbout
Luc Godbout

PHOTOS :

Luc Godbout et Yves St-Maurice, de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke

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