Saturne Ion

Comment gérer la vérité chez les médias dans l’industrie automobile?

Les chroniqueurs automobiles sont-ils censurés ?

C’est la question qu’on peut se poser en prenant connaissance du billet intitulé « Rester debout » que mon collègue Antoine Joubert a signé sur le site de V Télé  le 4 août dernier.

Grosso modo, le coanimateur de l’émission RPM raconte que le principal défi dans son métier consiste à dire la vérité. Non pas qu’il s’en prive. Il suffit d’entendre Antoine pendant cinq minutes pour comprendre que la langue de bois et lui ne font pas bon ménage. Les problèmes surviennent après. Une fois que la critique négative a fusé, le constructeur ciblé et/ou les concessionnaires visés peuvent se rebiffer. Comment ? Le premier, par exemple, en refusant au journaliste l’accès à ses véhicules de presse, les seconds en faisant des pressions auprès du média qui a diffusé le commentaire mal-aimé.

Ce n’est pas de la science-fiction. En 30 ans de carrière, j’ai moi-même été témoin de ces situations et j’en ai aussi vécues. Quand Antoine rappelle que General Motors l’a inscrit sur une liste noire en 2005, c’est Benoit Charette et moi, les cofondateurs de L’Annuel de l’automobile, qui avions dû défendre notre décision éditoriale de coiffer le texte sur la Saturn Ion du titre « La poubelle Rubbermaid ».

Quelques années plus tard, c’est avec Toyota Canada que nous avons dû en découdre parce que L’Annuel avait brisé un embargo au sujet de la nouvelle Camry. Je précise que les représentants de la presse sont régulièrement confrontés à un embargo, i.e. qu’ils consentent à écouter ce que le constructeur a à leur dire au sujet d’un nouveau modèle mais qu’ils promettent de ne pas en parler avant telle date. La théorie : afin que tous les médias puissent propager l’info en même temps, sans faire de jaloux.

Sauf que la pratique a maintes fois fait rager les scribes du Québec quand ceux-ci voyaient une publication connue, comme Motor Trend ou Road & Track, jouer à la une le modèle en question sans se soucier de l’embargo. Deux populations (lire : deux clientèles) bien différentes, donc deux poids et deux mesures ? Absolument.

Ce qui n’a pas empêché Benoit et moi d’être privés d’essais Toyota et Lexus pendant un an. Avons-nous été censurés ? Dans ce cas-ci, pas vraiment. Ce n’est pas tant la teneur de nos propos qui avait irrité le constructeur que son timing. Sans le savoir, en effet, nous avons fait déraper une campagne publicitaire destinée à nos voisins du Sud. Je crois que les dirigeants canadiens nous ont cru quand nous avons expliqué notre absence de malice (nous avions tout bêtement oublié l’embargo dans le feu de l’action à préparer un livre de 700 pages à temps pour l’imprimeur). Devions-nous être punis pour notre étourderie ? Je crois aussi que Toyota n’avait guère d’autres choix, n’était-ce que pour dissuader les autres scribes de n’en faire qu’à leur tête.

Ce qui me ramène au texte d’Antoine.

Les journalistes automobiles ont le devoir de dire la vérité, celle qui informera utilement le consommateur. C’est leur mission : guider le mieux possible l’individu qui s’apprête à dépenser des milliers de dollars.

Des journalistes le font mieux que d’autres. Ils se renseignent mieux. Ils posent de meilleures questions. Ils communiquent mieux. De sorte que le consommateur a vraiment l’impression d’être accompagné durant son processus d’achat.

D’autres journalistes privilégient le spectacle avant le contenu et ça satisfait une certaine faction de leur auditoire mais pas tout le monde. Des journalistes mènent des vendettas contre des marques parce qu’un concessionnaire a mal pris soin de leur voiture personnelle. Des journalistes essaient une fourgonnette comme si c’était un supplice comparable à un traitement de canal.

De l’autre côté de la table, des constructeurs et des concessionnaires acceptent avec ouverture d’esprit la critique positive et justifiée parce qu’ils ont à cœur de faire progresser leurs produits, alors que d’autres ruent dans les brancards. Ces gens en colère attrapent le téléphone et menacent de retirer le support publicitaire du média pas gentil.

C’est l’argument coup-de-poing. Entre un journaliste qui déblatère et un annonceur payant, bien des éditeurs n’hésitent pas longtemps. On censure le journaliste et on encaisse le chèque.

Mais tout le monde est perdant à la longue avec cette pratique et, de toutes façons, le consommateur, pas con, finit par suivre le chroniqueur qui l’éclaire et par ignorer celui qui se contente de jouer la game.

 

 

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